Les Challant

Présentation

La famille Challant est sans contestation possible la famille la plus puissante du Val d’Aoste, et ce sur un très long laps de temps, entre le XIe et le XVIIIe siècles. Ces sept siècles d’histoire valdôtaine ont été largement illustrés, racontés, pensés, par les familles Challant et Passerin (voir Carlo Passerin d'Entrèves et Courmayeur, Sette secoli di storia valdostana : episodi, memorie, note ed appunti storici, Ennio Pedrini Editore, Torino, 1961) à partir de leurs archives, comme par de nombreux autre historiographes ou historiens. Conservées jusqu’aux années 1970 dans le château de Châtillon, ces archives sont désormais conservées au service des Archives Historiques Régionales d’Aoste. Elles illustrent, parfois très précisément, les vicissitudes de la famille dans son ensemble, et celles de certains personnages en particulier (René, comte de Challant et Maréchal de Savoie, génère 1282 faits et documents d’archives qui le concernent de près ou de loin, ainsi que 67 pages de bibliographie à lui tout seul !).

Par contre, il n'est pas facile de raconter leur histoire. Les quatre historiens les plus complets, Du Bois, Vescovi, De Tillier et enfin Vaccarone sont désormais très anciens, dans le style, dans la forme comme dans le fonds, et arrêtent leur récit au XVe, au XVIIe, au XVIIIe siècle, et au début du XXe siècle respectivement, pour le plus récent des quatre. Les récits plus récents sont souvent concentrés sur les périodes de majeure influence de la famille, et laissent de côté des pans entiers d'une histoire certes moins prestigieuse, mais tout aussi précieuse pour les historiens. La documentation et la construction d'un récit continu ne sont donc pas faciles, même en se tenant principalement à l'histoire du château de Châtillon.

Armoiries de la famille Challant, peintes dans le décor en stucs du grand salon du château Passerin d'Entrèves et de Courmayeur à Châtillon.

Les Challant ont obtenu, grâce à leur indéfectible fidélité aux Savoie, non seulement le pouvoir temporel (vicomtes, comtes, baillis), mais aussi le pouvoir spirituel (cardinaux, évêques ou prévôts de la cathédrale d'Aoste, prieurs, chanoines…). Concrètement, ils ont détenu les châteaux et seigneuries de Challant, de Saint-Martin, de Graines, de Châtillon, de Cly, d'Ussel, de Saint­Marcel, de Fenis, et ensuite ceux de Montjovet, de Verres, d'Issogne et d'Aymavilles, la seigneurie d'Andour dans le Biellois, le château de Saint-Denis dans le canton de Fribourg, la baronnie de Varey (avec Richemont et Usson) dans la Bresse et le Lyonnais, Virieu le Grand en Bugey, les châteaux et seigneuries de Montbritton, Oson et Retourtour en Dauphiné, Villarsel, Aviens, Tornieur le Grand, Billens, Villargerod, Chatelar, Attalens et Divone en Suisse, la baronnie de Bauffremont en Lorraine, la principauté souveraine de Vallangin entre les confins de la Suisse et de la Bourgogne, et une infinité d'autres biens, fiefs, rentes et pensions, tant dans les Etats de Savoye, Piémont, Bresse, Dauphiné, Lorraine, Bourgogne que dans la Suisse, le Montferrat et ailleurs, même à Rome !
Nous allons ici tenter de les analyser rapidement du « point de vue » du château de Châtillon. Nous laisserons donc de côté les événements, les branches et les documents qui ne concernent pas, ou seulement de loin, notre propos.

Origines: les Challant avant les Challant

Il y a controverse sur les origines de la famille : on sait qu’un Boson (pas encore nommé de Challant) est vicomte d’Aoste, et sert les intérêts du duc de Savoie au tournant entre XIe et XIIe siècle. Il apparaît l'an 1100 dans une donation faite par le comte de Savoie, Humbert II, de l'église de Chambave, près de Châtillon, à l'abbaye de Fructuaire (San Benigno Canavese).

Copie de la donation faite en 1100 par le comte de Savoie, Humbert II, de l'église de Chambave, près de Châtillon, à l'abbaye de Fructuaire (San Benigno Canavese)(Archives d'Etat de Turin, Sezione Corte, Materie ecclesiastiche, Abbazie, Abbazia dei Santi Benigno e Tiburzio di San Benigno di Fruttuaria, Inventaire N° 134).

L’historien valdôtain De Tillier, qui écrit en 1733 (voir Tillier, Jean-Baptiste de, Historique de la vallée d'Aoste, Aoste, 1887 et encore Tillier Jean-Baptiste de, Nobiliaire du Duché d'Aoste, Éditions de la Tourneuve, 1970 [voir la partie "Challant", première édition manuscrite de la première moitié du XVIII siècle, dans une copie manuscrite de la fin du XIXe siècle]) leur attribue un lien de parenté avec les Monferrat, qui serait prouvé par un document dans les archives d’Ivrea, faisant état d’un lien de sang (voir Vigilio Vescovi, "Historia della Casa di Challant et di Madruzzo", reproduit in Archivum Augustanum, II, 1969, Aoste, ITLA, p.15). D’autres plus sceptiques, semblent leur attribuer une origine dans la proximité des Monferrat, mais pas de parenté. Quoi qu’il en soit, pour être investis du titre et de la fonction de vicomte et avoir la confiance des alors comtes de Savoie, il faut qu’ils en soient proches, et qu’ils soient recevables comme « supérieurs », et de beaucoup, par les nobles valdôtains d’alors.

Dans Aoste, ils occupent alors le château (dit souvent tour) de Bramafan, qui domine la porte sud de l’enceinte romaine d’Aoste (porta principalis dextera), ou porte Beatrix, et qui a été étendu et renforcé entre XIIe et XIIIe siècles.

Tour ou château de Bramafan à Aoste, première demeure des vicomtes d'Aoste dans la vallée. Construction romaine reprise et agrandie au Moyen-Age.

Ils sont investis du fief de Challant en 1206, lorsque le comte de Savoie Thomas 1er, leur donne le château de Ville-sur-Challant, suivant De Tillier, "in augmentum sui feudi ut in eo edificet et castellet". Le même leur octroye en 1212 les seigneuries de Châtillon et de Cly. Ils s’implantent alors dans la vallée de l'Evançon, le haut et le bas Val d’Ayas (le château de Graines, et les villages et terres alentour que Godefroi tient en fief de l'abbaye de Saint-Maurice d'Agaune dès 1263, voir aussi Joseph Bréan, La Vallée d'Aoste et l'abbaye de Saint-Maurice, dans Echos de Saint-Maurice, 1952, tome 50, p. 49-54 ), et déjà dans la vallée centrale, à proximité du bourg de Châtillon. Godefroi de Challant fait reconnaissance du château de Châtillon en 1242 pour la première fois (Jean-Baptiste de Tillier écrit dans son Historique de la vallée d'Aoste: "Godefroy, Aymon et Bozon, Vicomtes d'Aoste, par acte du 14 des Calendes de Janvier 1242, reçu par Jacques des Jacques Notaire du Sacré Palais, ont reconnu tenir à fief du Comte Amé [de Savoie] le Château de Ville en Challand, en ces termes exprès: tenir en fief du Seigneur Amé Comte de Savoie, le vicecomté, le Château de Châtillon, le Château de Fénis, le Chateau de Ville en Challand et beaucoup d'autres, etc...". Ebal II de Challant (dénommé Iblet dans l'inventaire) est conseigneur de la tour de Néran, dans la colline au Levant de Châtillon, en 1268 (voir INVENTAIRE DES ARCHIVES CHALLANT, TOME 1, VOLUME 23, CONTE DI CHALLANT, DONAZIONI SEMPLICI, Mazzo 1°, 1256-1497, 2, 1268, 2 mars, "Donazione fatta dai signori Vuillenco, Moruello e Pietro d'Arnad al signore Ibleto di Challant di tre quarti della torre di Fleran (?) con una charta augustana concernente la detta torre; con successiva infeudazione fatta da Ibleto di Challant ai fratelli suddetti. (1 doc. - parch.)", p. 104). Boson IV de Challant est défini, dans sa titulature officielle, seigneur de Cly et de Châtillon dès 1276, et en tout cas à la fin du XIIIe siècle.
On sait que la famille conserve la vicomté du duché d’Aoste jusqu’en 1295, date à laquelle ils la rétrocèdent, avec le château de Bramafan, aux Savoie, qui cherchent alors à renforcer et légitimer leur pouvoir. Fidèles des Savoie comme vicomtes, ils poursuivent et assoient par cette restitution ce qui est leur position de fidélité absolue tout au long de leur histoire, et jusqu’au XVIIIe siècle. En échange ils reçoivent de nouveaux fiefs, dans la vallée d’Ayas, et dans la vallée centrale moyenne.

Les Challant-Châtillon de la première branche, seigneurs de Châtillon

On l’a dit, le premier Challant de la première branche de Châtillon est l’encore vicomte Boson de Challant, au début du XIIIe siècle. Avant lui, deux familles, ou une famille avec deux noms différents) ont tenu en fief le village de Châtillon et déjà le ou les châteaux, les de Castellionis (ou de Castiglione ou de Châtillon) et/ou les Udrionis (Pour une des rares mentions qui me soient connues, dans les archives Challant, voir Perrin, Joseph-César, Inventaires des archives des Challant, Bibliothèque de l'Archivum Augustanum, 4 vol., Aoste, 1974-1977. En ligne sur la page des inventaires des Archives du Val d'Aoste, tome1-2, p. 454, on trouve le 18 décembre 1434, "la consignation par divers particuliers envers Jean de Guillaumet Udrionis de Châtillon, citoyen d'Aoste, de la décime des biens qui y sont inscrits et mis ensemble, situés dans les confins de Châtillon, et ressortissant de sa domination directe". Ils ont également quelques pages, ensemble, dans Tillier Jean-Baptiste de, Nobiliaire du Duché d'Aoste, Éditions de la Tourneuve, 1970 [voir la partie "Challant", première édition manuscrite de la première moitié du XVIII siècle, dans une copie manuscrite de la fin du XIXe siècle]).

Armories de la famille Challant, portant d'argent au chef de gueules à une cotice de sable brochant sur le tout, qui est Challant, chargée d'un anneau d'or en chef qui est Châtillon de la première branche. Devise: "Tout est monde et monde n'est rien". Repris dans Tillier (Jean-Baptiste de), Nobiliaire du Duché d'Aoste, Éditions de la Tourneuve, 1970 [voir la partie "Challant", première édition manuscrite de la première moitié du XVIII siècle, dans une copie manuscrite de la fin du XIXe siècle]).

On sait assez peu de choses de ces familles, et même les outils classiques sur l''histoire de la noblesse du Val d'Aoste, comme le nobiliaire de Tillier, restent très succincts .

Armoiries de la famille Udrionis et probablement De Castellionis. Dernier mur encore debout du château des Rives, à Châtillon. En arrière plan, le Château Passerin d'Entrèves à Châtillon.

On connaît (et il en existe encore quelques ruines, les fondations et un pan de mur, à proximité de la rivière Doire, à quelques deux kilomètres du château actuel) le château primitif, dit château des Rives, sans doute abandonné, suite à une crue de violence extrême. On sait par contre très peu de la fondation primitive du château de Châtillon, sinon que jusques en 1855, une tour romaine, heptagonale, en faisait partie (détruite par les Passerin d’Entrèves et de Courmayeur pour permettre la construction d’une maison de gardiens), ce qui démontre sans doute l’ancienneté d’occupation des lieux.

 

Tour de Pramotton, ou tour de Vert, ou de Bellegarde (photo de collection privée, plan de Carlo Nigra, Torri e castelli e case forti del Piemonte dal 1000 al secolo XVI. La Valle d'Aosta, ed. Musumeci: Quart (AO), 1974, fig. 10.), médiévale, mais probablement inspirée aussi de tours polygonales romaines, comme celle de Châtillon. Château de Châtillon, probablement entre 1841, date de mort de Gabriella de Cumiana, veuve de Challant, et 1855, date de destruction de la tour heptagonale, ici sur la gauche du bâtiment (gravure de Enrico Gonin, collection privée).

Généalogie des Challant-Cly et des Challant-Châtillon, d'après TILLIER Jean-Baptiste de - Nobiliaire du Duché d'Aoste - Éditions de la Tourneuve - 1970 [première édition manuscrite première moitié du XVIII siècle] et d'après VACCARONE, Luigi, I Challant e loro questioni per la successione ai feudi dal XII al XIX secolo, Turin, 1893.

Il me faut ici insister sur Aymon II de Challant, né vers 1305 et décédé en 1388. Il est, à partir de 1337, seigneur de Fénis et non de Châtillon, que son frère Yblet reprend en fief en 1366, après l'extinction de la première branche des Challant Châtillon. Il est armé chevalier par le comte de Savoie lui même, au service duquel il connaît une longue carrière, tant militaire que diplomatique : châtelain de Lanzo, de Maurienne, de Veillane, de Chambéry, de Tarentaise, de Suse, de Montmélian, d'Ivrée, de Bard, de Sallanches (entre 1331 et 1388, date de sa mort), gouverneur d’Ivrée en 1349, bailli du Val de Suse et de Savoie de 1353 à 1356, ambassadeur à la cour de France (1355), conseiller (1362) du comte de Savoie et gouverneur d’Aoste en 1381. Il est le premier des Challant décoré de l'ordre du collier, dès 1383.

I- Représentation d'un couple inconnu de J.B. de Tillier, probablement les gisants d'Aymon II de Challant et de son épouse Fiorina Provana dans l'église Saint-François d'Aoste (Voir Tillier J.B de, Historique de la vallée d'Aoste, manuscrit de 1742, imprimé par L. Mensio éditeur, Aoste, 1887, p.146). II- Gisant d'Aymon de Challant, copie en plâtre dans la chapelle du château Passerin d'Entrèves et de Courmayeur à Châtillon (l'original est visible dans le trésor de la cathédrale d'Aoste).

Si son lien de son vivant avec le château de Châtillon est inexistant, sinon, peut-être, très épisodiquement, et de manière non documentée, il y existe encore, dans la chapelle, une partie de gisant du monument funéraire réalisé en son honneur ainsi qu'en celui de son épouse Fiorina Provana. Le monument entier devait se trouver dans l'église de Saint-François d'Aoste, et dater d'avant 1423 (Voir Riccardo Passoni, "Sul gotico tardo ad Aosta, il ruolo dei committenti", in Bollettino di Arte Italiana, 1984, p. 25), date où son existence est attestée. Quand l'église en question fut détruite, en partie par les occupants français à partir de 1799, et en partie par les urbanistes aostans après 1836 (le 15 novembre 1836 d'après François-Gabriel Frutaz), soit Gabriella veuve de Challant, soit Aimé Passerin d'Entrèves et de Courmayeur son mari ont peut-être voulu honorer la mémoire des Challant en ramenant cette épave à Châtillon. Ce tombeau que Jean-Baptiste de Tillier décrit sans l'identifier dans l'église Saint-François d'Aoste (Voir Tillier J.B de, Historique de la vallée d'Aoste, manuscrit de 1742, imprimé par L.Mensio éditeur, Aoste, 1887, p.146), l'a été depuis par Bruno Orlandoni (Voir D.Prola, B. Orlandoni, Il Castello di Fenis, Musumeci Editore, Aosta, 1982, note 228 p.78).

Yblet, Jean, François et Catherine de Challant, seigneurs puis comtes de Châtillon

Prolongée sur 5 générations, la première branche des Challant-Châtillon s’arrête en 1361. Le château revient alors entre les mains du duc de Savoie, Amédée VI. Le 15 juin 1366, Yblet de Challant, cousin de la branche Châtillon et et époux de Jacquemette, soeur de Boniface, dernier des Challant Châtillon, relève le fief ex manu domini (avec le château) moyennant huit mille florins (voir VACCARONE, Luigi, I Challant e loro questioni per la successione ai feudi dal XII al XIX secolo, Turin, 1893, p.5; voir aussi l'article en ligne de Omar Borettaz sur Les seigneurs de Pontey; voir aussi Inventaire des Archives de Challant, VOLUME 10, CONTE DI CHALLANT, TESTAMENTI DI FAMIGLIA, Mazzo 1° - 1301-1398, 11, 1361, 21 juillet: "Testamento del sig. Bonifacio, signore di Castiglione, in cui istituisce in suoi eredi universali nei suoi beni, giurisdizione e feudi la sig.ra Giacomina sua sorella, figlia del sig. Pietro, signore di Castiglione, moglie del sig. Ibletto di Challant"). Yblet, qui est le grand (re)bâtisseur du château fort de Verrès, s’intéresse quand même à une première modernisation de Châtillon, où il habite sans doute une partie du temps : la résidence y est agréable et ensoleillée. Ses autres châteaux sont soit plutôt sévères, au plan monocorps, et au rôle militaire, comme à Ussel et à Verrès, soit de plan ancien, type château de montagne, comme à Graines : une enceinte, perchée de préférence, un donjon, un corps de bâtiment éventuellement, une chapelle, et pas davantage.

Château de Graines, dans le haut Val d'Ayas (photo collection privée).

Il est par ailleurs un chef de guerre très réputé, et obtient pour ses réussites militaires répétées le collier du grand ordre de l’Annonciade (comme son frère Aymon de Challant) en 1385, et de multiples biens et fonctions (gouverneur du Piémont, bailli du Val de Suse, podestat d’Ivrée, ambassadeur, négociateur et ministre pour les ducs de Savoie).

Hyblet de Challant (collection privée, après restauration).

A sa mort en 1409, c’est son deuxième fils, François, qui poursuit la dynastie, son frère aîné étant mort de la peste à Naples en 1383. Et c'est encore François qui récupère la seigneurie de Châtillon, à la mort de son frère cadet Jean en 1410 (voir Inventaire des Archives de Challant, VOLUME 11, CONTE DI CHALLANT, TESTAMENTI DI FAMIGLIA, Mazzo 2° - 1405-1414, 5, 1410, 20 janviert: "Testamento del sig. Giovanni di Challant, signore di Castiglione, S. Martino di Challant et Surpierre, in cui instituisce in suo erede universale il sig. Francesco di lui fratello."). Il est ensuite le premier Challant créé comte par le duc de Savoie (lettres patentes du 15 août 1424), dont l’empereur Sigismond lui-même avait érigé peu avant le comté en duché de Savoie (19 février 1416) (voir VACCARONE, Luigi, I Challant e loro questioni per la successione ai feudi dal XII al XIX secolo, Turin, 1893, p.6).

François de Challant (collection privée avant restauration).

François, probable gouverneur du duché d’Aoste, entre autres fonctions et honneurs, obtient alors le collier du grand ordre de Savoie (entre 1430 et 1440), ainsi que d’autres membres de la famille Challant.

Malheureusement, il n’a que deux filles, et pas de garçon. C’est donc dans la tentative probable d’obtenir du duc le droit de les faire hériter, malgré la loi salique, les accords internes qui s’appliquent dans la famille Challant, et même les dispositions des Audiences Générales de 1337 (Aymon de Savoie), qu’il restitue le fief de Montjovet et ses châteaux (Saint-Germain et Chenal) au duc de Savoie. Il rédige alors son testament (22 juin 1437, autorisé par le duc de Savoie Amédée VIII le 9 août 1435), puis meurt en 1442. Il laisse à ses filles Catherine et Marguerite non seulement ses biens, mais aussi le comté.

L'ensemble des autres Challant s'élève contre le testament (Challant-Fénis, Challant-Aymavilles, Challant-Varey...), mais également le duc, qui prétendait que l'ensemble du comté devaient lui revenir, puisque les femmes n'étaient pas habilitées à en hériter.

Au cours de années qui suivent, Catherine de Challant, aidée par son mari et cousin Pierre Sarriod seigneur d’Introd, épousé en 1449, défend bec et ongles, les armes à la main, ses terres, ses droits et ses titres. Graines est défendu par des villageois contre les envoyés mêmes du duc, qui tentent d'en prendre possession.

Généalogie des successeurs d'Yblet de Challant, d'après TILLIER Jean-Baptiste de - Nobiliaire du Duché d'Aoste - Éditions de la Tourneuve - 1970 [première édition manuscrite première moitié du XVIII siècle] et d'après VACCARONE, Luigi, I Challant e loro questioni per la successione ai feudi dal XII al XIX secolo, Turin, 1893.

Le château de Châtillon, nous dit Vaccarone (voir VACCARONE, Luigi, I Challant e loro questioni per la successione ai feudi dal XII al XIX secolo, Turin, 1893, p.10), est fortifié par Pierre et François Sarriod d'Introd, mari et beau-frère de Catherine, comme les places de Graines et de Villa Challant. A Châtillon, on construit des terre-pleins, on creuse des fossés, peut-être mis en eau, même si les lieux actuels y semblent peu propices, on répare d'anciennes murailles et on en construit de nouvelles. Au moins deux maîtres d'armes y fabriquent couleuvrines et arbalètes. Une garnison, nombreuse et sur ses gardes, y est présente jour et nuit. Mais les nécessités de cette mise en défense du comté de Challant épuisent les populations, et créent des mécontentements.

Le château de Châtillon, qui est donc alors bien mieux fortifié qu’il ne l’est maintenant, et bien mieux qu'il ne l'était auparavant, subit un siège en règle de la branche des Challant-Aymavilles, menée pour lors par Jacques de Challant. Pierre Sarriod d’Introd, mari de Catherine, pour venir en aide à sa femme, tente, en 1456, une sortie depuis le château de Verrès. Il est pris et tué par surprise dans une embuscade. Jacques prend alors le château de Châtillon et Catherine de Challant par la même occasion. Quelques mois après, le 17 décembre 1456, Catherine se trouve contrainte de céder tous ses droits à son cousin. Mais par ce même document, elle garde malgré tout l'usufruit de la moitié du château et fief de Châtillon jusqu'à la fin de sa vie, et on la voit apparaître par la suite aux côtés de Jacques dans une partie de la documentation. Mais ce sont donc désormais les Challant-Aymavilles qui tiennent Châtillon jusqu’à la fin du XVIe siècle.

Cela ne se fera toutefois pas si tranquillement, puisque en 1462 encore Catherine tente de revenir occuper le comté comme le château de Châtillon, avec les troupes de son troisième mari, Pierre de Chissé, protégé par un oncle confesseur du duc de Savoie. Et si dans les faits, l'ensemble a été récupéré par Louis de Challant et sa mère régente en 1466, non sans combats, en 1469 encore Catherine essaye les voies détournées d'un procès pour récuperer sinon une partie de ses biens, au moins une partie de sa fortune. Dans l'ensemble, il est très intéressant de constater que, si on s'en tient à Luigi VACCARONE (I Challant e loro questioni per la successione ai feudi dal XII al XIX secolo, Turin, 1893), cette conquête militaire s'accompagne d'une très forte judiciarisation, au Val d'Aoste (Audiences Générales de 1466) comme au plus haut niveau de l'état (sénat, le duc lui même...), mais dont le sort dépend le plus souvent du niveau de proximité des uns ou des autres avec le duc.

Les Challant-Aymavilles, comtes et seigneurs de Châtillon

Au cours de la deuxième moitié du XVe siècle, malgré, ou même à cause de cette conquête manu militari du titre comtal de François par Jacques de Challant, et par la branche des Challant-Aymavilles, et désormais de Châtillon, la famille continue de représenter le lignage valdôtain le plus influent, et le plus présent, tant au Val d'Aoste même qu'auprès des Savoie et de l'ensemble de la principauté savoyarde. Mais c'est l'ensemble du lignage qui tient le haut du pavé, au Val d'Aoste comme à la cour. C'est probablement le moment où les Challant détiennent 38 des châteaux principaux de la Vallée, qui en compte 70 environ, et y exercent les fonctions principales (gouverneurs, baillis, châtelains...). Auprès des Savoie, on trouve, ensemble ou successivement, le comte Louis de Challant-Aymavilles, chevalier de l'Annonciade, bailli d'Aoste, châtelain de Bard et de Châtel-Argent et gouverneur de Nice, tout comme son cousin Boniface, seigneur de Varey, tous deux conseillers et chambellans de Yolande de France ; le frère de ce dernier, Jacques seigneur d'Usson et Retourtour, est conseiller et chambellan des ducs Charles Ier et Philippe II ; le comte Philibert de Challant, fils de Louis, est également chevalier de l'Annonciade, conseiller et chambellan de Charles Ier et gouverneur de la Vallée d'Aoste. (voir Joseph-Gabriel Rivolin, Les Valdôtains et la maison de Savoie: un aperçu Historique, Région Autonome de la Vallée d'Aoste, Aoste, 2015, p. 16). Ils sont, comme l'exprime Guido Castelnuovo, "tout à la fois seigneurs justiciers d’une part enviable de leur vallée et hommes de cour et d’office fort prisés par leurs princes" (voir Castelnuovo Guido, « Un idéal nobiliaire dans la Savoie du XVe siècle : la Chronique de la Maison de Challant. », in Mélanges de l’École française de Rome. Moyen Âge, 117, 2005/2, p. 719). Et ils savent, comme l'exprime Laurent Bourquin "se rendre indispensable[s] pour exercer une domination militaire fiable dans [leur] pays natal et parallèlement profiter avec brio des bienfaits de l’État" (voir BOURQUIN, Laurent. "Introduction" In : Noblesse seconde et pouvoir en Champagne aux XVIe et XVIIe siècles, Paris : Éditions de la Sorbonne, 1994).

Généalogie des Challant-Aymavilles, d'après CASTELNUOVO Guido, «Un idéal nobiliaire dans la Savoie du XVe siècle: la Chronique de la Maison de Challant», dans Mélanges de l’École française de Rome. Moyen Âge, 117, 2005/2, p. 719-779.

Si Jacques de Challant Aymavilles nous intéresse ici du point de vue valdôtain, il n'est pas inutile de le remettre en perspective du point de vue Savoyard et même européen. De physique semble-t-il plutôt grâcile, il est destiné dans un premier temps à la cléricature (voir Castelnuovo Guido, "Giacomo di Challant, un'educazione nobiliare fra meraviglia e illusione" in Cercando educazione, scritti in onore de Francesco Mattei, dir. C.Casalini, Roma, Anicia, 2019, p.97-110). Mais par la suite, il devient le principal héritier de son père, quand son frère Guillaume s'établit du côté Suisse, et son frère Jean relève de la vocation ecclésiastique. Conseiller et Chambellan de Louis 1er de Savoie, il détient de nombreuses seigneuries en deça et au delà des monts, en plus de celles qu'il tient de sa famille au Val d'Aoste. Qui plus est, il est fait chevalier de l'Ordre de l'Annonciade en 1440, avant une brève disgrâce (1451, suite à la conjuration des Cypriotes. Voir article en ligne Princesses de Savoie de André PALLUEL-GUILLARD), qui le voit trouver refuge auprès du Dauphin Louis de France, futur Louis XI, qui devient parrain de son fils et héritier Louis de Challant. Il revient en grâce en 1456, à temps pour récupérer le titre de comte et les fiefs et prérogatives qui vont avec. Le prestige de la reconquête du comté plus celui de la valeur militaire (voir Stein H, "Chanson du pas de Marsannay (1443)", Bibliothèque de l'Ecole des Chartes, 1921, N°82, p.330-337) font de Jacques, comte de Challant, seigneur d'Aymavilles puis de Châtillon, un personnage de premier plan de l'histoire du château.

Jacques de Challant (Collection privée avant restauration)

Mais c'est pour son fils Louis, troisième comte de Challant, que Pierre du Bois, secrétaire du père Jacques, écrit une Généalogie des Seigneurs de Challant et une Chronique de la maison de Challant, autour de 1460, très peu de temps après la mort de Jacques. Cet écrit, comme souvent, peut avoir de multiples propos : l'ode encomiastique probablement (voir Alain Genetiot, "De l'ode encomiastique au chant du monde", dans L'Eloge lyrique, dir. Alain Génetiot, Presses Universitaires de Nancy, 2008, p. 5-14) mais aussi une volonté de continuité dynastique entre père et fils au moment de la mort de Jacques, autant, enfin, que la volonté de Pierre du Bois de prolonger ses propres fonctions (et ses propres revenus!) auprès de l'une des familles majeures du duché. Cet "expert en une double culture administrative et chevaleresque qu’il avait acquise nous ne savons ni où ni comment" (voir Castelnuovo Guido, « Un idéal nobiliaire dans la Savoie du XVe siècle : la Chronique de la Maison de Challant. », in Mélanges de l’École française de Rome. Moyen Âge, 117, 2005/2, p. 719-779) se prête d'un côté à une historiographie partisane, comme souvent dans ce type de milieu, mais prend certainement également en mains l'éducation du jeune comte de Challant.

Louis de Challant (collection privée, avant restauration).

Il n'est pas neutre de constater que les deux ou trois principales entreprises d'éducation, mais aussi de prestige et mémoire familiale, fastueusement statutaires, sont, dans la famille Challant, très peu distantes l'une de l'autre, en années comme en kilomètres, : 1460 pour Louis de Challant, entre Aymavilles et Châtillon ; fin XVe début XVIe pour Philibert et Charles de Challant, au château d'Issogne (voir Bona Federico, Le Miroeyr pour les enfens de Challant, stemmi e alleanze matrimoniali della famiglia Challant nel cortile des castello di Issogne, juin 2012). Et sans doute peut-on compter aussi dans ces entreprises d'éducation somptuaire le missel de Georges de Challant-Varey (1499), conservé originairement au château d'Issogne (voir Francesco Carta, Di un messale valdostano del secolo XV...., Bibliothèque de l'École des chartes Année 1885 46 pp. 345-346), et récemment revenu au bercail (voir article dans le journal La Stampa).

Pages extraites du Grand Missel Festif de Georges de Challant (folios 148v et 149r, publiés avec l'autorisation de la Région Autonome du Val d'Aoste, propriétaire du manuscrit original. Reproduction interdite).

Et peut être encore la remise en état et la décoration du château de Châtillon, dont le programme des fresques d'une des grandes salles, désormais disparues, avec un thème maritime, comporte les armoiries de Philibert de Challant (mort en 1518) comme celles de son épouse, Louise d'Arberg Valangin. Il ne nous en reste malheureusement pas grand chose.

Fresques situées dans le grenier au dessus de l'actuel grand salon du château de Châtillon, à thème maritime, à l'instar de l'une des fresques de la salle de justice du Château d'Issogne. Comme là bas, on reconnait des navires de la fin du XVe siècle ou du début du XVIe siècle, qu'on peut peut-être rapprocher de caravelles (portugaises ou espagnoles, présentées en bas et à droite de l'image) qui ont rejoint l'Amérique, tout juste découverte. On devine ici à gauche les armes des Challant et à droite, plus difficilement, celles de Louise d'Arberg Valangin, rapprochées de celles de sa mère (en haut à droite de l'image), Guillemette de Vergy, dame de Valangin (Voir article de Clottu Olivier, "La maison d'Arberg-Valengin en Belgique", in Archives héraldiques suisses: Annuaire, N°99, 1985; photo collection privée).

Ces entreprises, éducatives à leur manière, nous présentent un modèle que nous retrouverons dans les générations suivantes de seigneurs et comtes de Challant : indefectible fidélité au catholicisme, au duché de Savoie, et aux valeurs de la chevalerie (voir aussi Benjamin Deruelle, De papier, de fer et de sang Chevaliers et chevalerie à l’épreuve du XVIe siècle (ca1460-ca1620), Editions de la Sorbonne, Paris, 2015), mais aussi (déjà!) un certain "patriotisme valdôtain". L'ensemble se conjugue avec une grande ouverture de fait sur l'Europe et le monde, par les hautes charges, diplomatiques et militaires, qu'ils occupent auprès des ducs de Savoie, et auprès de diverses cours européennes. Il n'est pas anodin de trouver des fresques ou des cycles de fresques maritimes, aussi bien à Issogne qu'à Châtillon. Et après tout, leur devise est "Tout est monde et (le) monde n'est rien", qui suppose pour le moins une connaissance.

Même si ce n'est pas directement notre propos, on ne peut parler des Challant sans parler d'Issogne. Ce château, siège d'une maison-forte épiscopale jusqu'en 1379, arrive ensuite entre les mains d'Yblet de Challant, qui commence les travaux de restauration et transforme la maison-forte en un élégant château de style gothique courtois, avec une série de tours et de bâtiments à l'intérieur d'une enceinte. En 1409, à la mort d'Yblet, le fief d'Issogne passa à son fils François. Jacques de Challant-Aymavilles, par la reconquête du comté, devint ainsi en 1456 l'héritier d'Issogne comme de Châtillon, et des autres fiefs repris à Catherine de Challant. Mais c'est Louis de Challant, vers 1480, qui ordonna de nouveaux travaux de restauration, qui furent supervisés, en leur plus grande partie après sa mort (testament de 1487, mort avant 1489), par le prieur Georges de Challant-Varey, son cousin, protecteur de Marguerite de la Chambre sa veuve, et tuteur de Philibert de Challant et de Charles son frère, ses enfants. Ce fut lui qui ordonna la construction de nouveaux bâtiments de liaison entre ceux qui existaient déjà (voir le livre d'Orphée Zanolli, Computa Sancti Ursi (1486-1500), Musumeci, Aoste, 1998, comptes qui contiennent, entre autres, les deux registres 130/I/1 et 130/I/2, conservés aux Archives de la Collégiale de Saint-Ours d'Aoste, et décrivent la "despansa pour l'édifice du casteaulx de Yssogny") en créant ainsi un palais en forme de fer-à-cheval autour d'une cour.

Le château d'Issogne sous divers angles: cour armoriée - galerie des fresques - petit jardin - vue de l'extérieur, côté nord (photos collection privée).

A son époque la plus riche et la plus prestigieuse, le château hébergea des personnalités aussi illustres et prestigieuses que l'empereur Sigismond de Luxembourg lors d'un voyage de retour en Allemagne en 1414, ou bien le roi Charles VIII de France, peut-être en 1494, au départ vers les guerres d'Italie, ou en 1496, lors de son retour vers la France.

En 1509, à la mort de Georges, prieur de Saint-Ours d'Aoste, son oncle et tuteur, et après la fin des travaux de restauration, Philibert, fils du comte Louis et de Marguerite de La Chambre, 4ème comte de Challant investi depuis 1490, seigneur de Châtillon, d'Aymavilles, d'Ussel et de Saint-Marcel, fut de plus investi pleinement nouveau seigneur d'Issogne. Il utilisa ce château comme résidence pour lui et pour sa famille, composée par sa femme Louise d'Aarberg et par son fils René, né fin 1503 ou début 1504. Il est probable que ce dernier ait été baptisé à Issogne même, ce que semblent indiquer les dédicaces des fresques et des décors du lieu, contrairement à l'idée, pourtant plus répandue dans les sources et la bibliographie, d'un baptême au château de Châtillon même, moins prestigieux et moins bien décoré à l'époque.

I- Chapelle du chateau d'Issogne, avec fresques d'époque et autel en style gothique tardif original. II-Fresques pariétales de la chapelle du château de Châtillon, hélas largement remaniées au XIXe siècle, mais relevant aussi du style et des compositions (personnages, ordre, disposition...) du style gothique tardif.

Investi du comté de Challant le 27 octobre 1490 après la mort de Jacques, son frère aîné, il fut chambellan du duc de Savoie en 1487, chevalier de l'Annonciade, puis bailli et lieutenant général du duché d'Aoste de 1509 à 1517. Jeune, beau, d'une éducation distinguée, il exerçait largement l'hospitalité dans ses chàteaux de Châtillon, d'Issogne, et d'Aymavilles. Claude d'Arberg, seigneur (comte?) de Valangin et baron de Bauffremont, aurait fait la connaissance de Philibert de Challant en passant par la vallée d'Aoste lors d'un retour de Rome. Challant l'accompagna à Vallangin où il passa quelques semaines, et il s'éprit de la jeune comtesse Louise, fille unique de Claude.

Philibert de Challant (collection privée, avant restauration).

Deux ans après, il revint pour s'unir à elle. Le contrat de mariage, avec constitution de dot de quinze mille florins, fut stipulé le 2 juillet 1502. Vigilio Vescovi (voir Vigilio Vescovi, "Historia della Casa di Challant et di Madruzzo", reproduit in Archivum Augustanum, II, 1969, Aoste, ITLA, p.1-118) nous dit que ce mariage fut négocié par Georges de Challant, prieur de Saint-Ours et tuteur de Philibert, même s’il y avait déjà des "principes d’estime réciproque" qui jouaient en faveur de ce mariage. Par acte du 12 février 1503, Louise fut en outre déclarée héritière de tous les biens et fiefs de Claude d'Arberg, dans le cas où il vint à mourir sans autre postérité. Claude d'Arberg, seigneur (comte?) de Valangin, baron de Bauffremont, conseiller et chambellan du roi de France, avait épousé Guillemette de Vergy, dame de Blessencourt, de Rozières et de Corcelle en Bourgogne, fille de Jean de Vergy, seigneur de Champvent et de Montricher. Ce fut à l'occasion de ce mariage que Jean d'Arberg, son père, lui donna la terre et le fief de Bauffremont.
A la suite de son mariage, Philibert de Challant, qui était capitaine des soixante gardes nobles du palais ducal, reçut de Charles II le 2 décembre 1504, un don de six cents florins sur la chancellerie du Vicariat de Turin et sur celle d'Avigliana. Le comte Philibert conduisit sa nouvelle épouse dans la vallée d'Aoste, et ce fut au château de Châtillon (ou bien à celui d'Aymavilles, ou bien à celui d'Issogne) que naquît leur fils René.

Châteaux de Châtillon (vue ouest), d'Aymavilles (vue nord), et d'Issogne (vue est).

Ils n'eurent pas d'autres enfants et Philibert, âgé d'environ trente-deux ans, mourut après quinze ans de mariage, au commencement de juin 1517. La ville de Berne écrivit le 22 juin une lettre de condoléances à Claude d'Arberg qui ne survécut pas longtemps à son gendre, puisqu'il mourut le 31 mars 1518. L'année suivante, Louise suivit son père et son mari dans le tombe, laissant à son jeune fils la baronnie de Bauffremont et la principauté de Valangin qui comprenait alors à peu près les trois districts du Val-de-Ruz, de La Chaux-de-Fonds et du Locle.

Il nous faut ici faire une pause, et nous pencher un peu sur les inventaires après décès de Philibert et Louise de Challant. Leur château préféré semble avoir été celui de Châtillon, dont l'inventaire est publié par François-Gabriel Frutaz (Voir François-Gabriel Frutaz, Le château de Châtillon et l'inventaire de son mobilier au XVIe siècle, Aoste: Imprimerie Catholique, 1899). D'ailleurs la densité documentaire qui correspond aux dates de leur contrôle du château est bien plus importante que durant la période de René.

Vue du château de Vallangin, actuellement dans le canton de Neuchâtel, en Suisse. On y voit des fortifications anciennes, (XVe siècle) et l'état actuel du château, qui ne représente qu'une petite partie du château du XVIe siècle. L'entièreté du château tel que l'a connu René de Challant à brûlé en 1747, lors d'un incendie (photo collection privée).

Après la mort de ses parents, René fut sous la tutelle de son oncle Charles de Challant, prieur de la Collégiale de Saint-Ours, et ses deux aïeules, Guillemette de Vergy (dont il ne reste d'autre portrait que son gisant dans la collégiale de Vallangin) et Marguerite de La Chambre (dont je n'ai trouvé aucun portrait), prirent soin de son éducation. Durant la vie de Claude d'Arberg, Guillemette avait porté un grand intérêt aux affaires publiques ; devenue comtesse douairière, elle ne cessa pas de s'en occuper et, dans les premières années du "règne" de son petit-fils, nous voyons son nom figurer dans les actes à côté de celui de René.

Armoiries de René, comte de Challant (1 et 4), seigneur souverain de Valangin et baron de Bauffremont (2 et 3). L'utilisation du symbole de la vicomté d'Aoste (d'or, à l'aigle de sable, couronnée du champ, becquée, languée et membrée de gueules), abandonné par la famille Challant déjà en 1295, me semble pour le moins poser question, mais on le retrouve tel quel sur les fresques du château d'Issogne (voir Bona Federico, Le Miroeyr pour les enfens de Challant, stemmi e alleanze matrimoniali della famiglia Challant nel cortile des castello di Issogne, juin 2012, p. 12). Le collier de l'ordre de l'Annonciade correspond bien à la nomination de René en 1519, par le duc Charles de Savoie.
René de Challant est le personnage historique le plus important de la famille Challant sans contestation possible, et son histoire nous est bien connue (Voir le dernier opus en ce domaine: VESTER Matthew, Transregional Lordship and the Italian Renaissance: René de Challant, 1504-1565, Amsterdam, Amsterdam University Press, 2020, 330 p.). Mais il n'est pas pour la fortune du lignage le meilleur et le plus efficace des maillons. Son parcours est jalloné par une grande quantité de documents d'archives, de testaments (il en a fait plusieurs!), d'épouses (quatre en tout), de lettres (119 ont été retrouvées écrites au deux ducs de Savoie successifs qu'il a servis, voir Le lettere di Renato di Challant, Governatore della Valle d'Aosta, a Carlo 2. ed a Emanuele Filiberto / edite a cura di Giovanni Fornaseri. - Torino : Deputazione subalpina di storia patria, 1957. - XLVI, 153 p.), et de traces de toutes sortes. Mais il meurt en laissant seulement deux héritières officielles, reproduisant ce qui était arrivé à Francois, premier comte de Challant, un peu plus de cent ans avant lui.

René, cinquième comte de Challant (collection privée, après restauration).

Par ailleurs, même s'il est réputé être né ou baptisé à Châtillon, et même si on peut voir par la documentation historique le château en activité de temps en temps, il ne semble pas s'en être beaucoup intéressé, ni y avoir séjourné davantage. Sur les 1112 documents d'archives et évènements qui jallonnent la vie de René de Challant, seuls 26 concernent directement Châtillon, son château, sa châtellenie, ou son territoire (à peine 2,3 %). Un coup d'oeuil rapide nous amène à décompter 14 comptes, annuels ou ponctuels, 9 ventes, consignations ou reconnaissances, le premier testament de René, réalisé sur place, et quelques éléments d'importance secondaire. Parmi les comptes, nous avons celui de la visite de quelques jours par Emmanuel-Philibert duc de Savoie à Châtillon, en 1561 (Voir Archives de l'Etat de Neuchatel, Archives publiques, AS-K16.25, Archives Seigneuriales, Compte rendu par les héritiers du châtelain de Châtillon au délégué du comte de Challant, 1561), ce qui nous montre quand même que le château était à cette date en état d'heberger un duc de Savoie et sa cour. Sur les 119 lettres écrites par René de Challant au ducs de Savoie, Charles et Emmanuel-Philibert, aucune n'est écrite depuis Châtillon, et qui plus est, Châtillon n'y est pas mentionné une seule fois (Aymavilles y apparaît 15 fois, Issogne 9 fois, Verrès 1 fois, Valangin 14 fois, et Bauffremont 4 fois, qui sont aussi les châteaux dont on connait l'inventaire à sa mort) (voir G. Fornaseri, Le lettere di Renato di Challant governatore della Valle d’Aosta a Carlo II e ad Emanuele Filiberto, Turin, Deputazione subalpina di storia patria, 1957. - XLVI, 153 p.).

Principaux châteaux présents dans les inventaires après décès de René de Challant (Photos collection privée).

Malgré tout, il semble que, à la mort de René de Challant, le château était plutôt riche, et rapportait annuellement "quatre muids, six sétiers et deux quartaines de vin, quatre muids, trois sétiers et trois moutures de froment, quarante-sept muids, quatre sétiers et quatre moutures de seigle, quatre muids, deux quartaines et une mouture d'orge, un sétier et six moutures de châtaignes blanches, trois sétiers et une mouture de noix, vingt-sept livres de cire, onze cent vingt-cinq livres de fromage, cinq cent et quinze livres de céras, cinquante-six perdrix, cent soixante dix-neuf chapons, vingt-deux faix de foin et huit de paille, deux brebis, cent trente-deux florins, un florin pour les toises du Bourg, un florin pour la signature de la mistralerie, les moutures des moulins, les redevances du four, les langues des bovines, le produit du péage des moutons, de la layde des foires et de l' office de la cléricature. Le seigneur de Châtillon possédait en outre le droit de chasse et de pêche sur tout le territoire de la baronnie, et nous voyons qu'en 1577 Georges de Challant plaidait contre les particuliers de Châtillon pour la conservation de ces droits" (Voir François-Gabriel Frutaz, Le château de Châtillon et l'inventaire de son mobilier au XVIe siècle, Aoste: Imprimerie Catholique, 1899, p.77, à partir de ARCHIVES DE CHALLANT, VOLUME 55, CONTE DI CHALLANT INVENTARI LEGALI E PUPILLARI, Mazzo 1° 1565-1590, 1, 1565-1566, Inventario legale fatto dalla dama Isabella di tutti li beni, effetti, e scritture del fu signor conte Renato di Challant, di lei padre (1 volume.) ; ARCHIVES DE CHALLANT, VOLUME 102, CASTIGLIONE, CACCIA, PESCA E BOSCHI, ATTI E SCRITTURE DIVERSE, Mazzo 1° 1575-1919, 23, S. d. (Fin XVIe et XVIIe s.), Inventaire des biens appartenant au comte de Challant à Châtillon et, avec le toisé de chaque pièce de terrain, 2 documents). Cette énumération nous dit plusieurs choses fondamentales sur un château: il s'agit tout autant d'une unité de production (et/ou de concentration des productions des autres) que d'une unité habitative de prestige. Les fonctions de châtelain d'un château "privé" sont donc tout autant sinon plus des fonctions de gestion et de comptabilité que des fonctions militaires de chef de place, quand il n'est pas carrément locataire des lieux. Et elles accompagnent forcément les fonctions de justice, de police et de finances qui peuvent s'y trouver réunies.

En tout cas René de Challant, même s'il n'y séjourne guère, fait produire Châtillon, directement ou indirectement. A cette liste de revenus directs, établie après sa mort pour sa fille et héritière Isabelle, il faut ajouter le fait que, sans doute après 1561, René de Challant loue la totalité du revenu de Châtillon pour quatre ans à son châtelain, pour la somme forfaitaire de "1200 florins de petit poids de Savoie" par an, à charge pour le dit châtelain d'en tirer davantage si possible (Voir ARCHIVES DE CHALLANT, VOLUME 104 CASTIGLIONE, PEDAGGI, TAGLIE, SALVAGUARDIE, MOLINI, FORNI, MACELLO, Mazzo 1°, 14, s. d. (avant 1565), Affittamento fatto dal sig. conte Renato di Challant per anni quattro allora prossimi a favore del sig. notaio Giovanni Grivon, suo castellano di Castiglione, di tutti li beni e redditi del mandamento di Castiglione, mediante l’annuo fitto di 1.200 fiorini di piccol peso di Savoia, sotto l’osservanza dei patti ivi espressi. La location ci-incluse parle du droit de langues des boucheries du mandement de Châtillon et des droits de laods. Chemise sans document). C'est une manière récurrente de transformer un revenu en nature en revenu financier. Et peut-être est-ce là aussi le sens qu'on peut donner aux "lunettes" d'Issogne, fresques représentant sans doute la mise en vente de ce que produit et rapporte un château.

Fresques, dites "lunettes", situées sous les portiques du château Challant d'Issogne, ici celle de la charcuterie-boucherie-fromagerie, pour autant qu'on puisse reconnaitre les aliments représentés. On reconnait la livrée du personnage central, probablement celle des serviteurs des Challant, reconnaissable dans toutes les autres fresques. Elles datent de la fin du XVe siècle au début du XVIe siècle, période de reconstruction et d'embellissement du château (photo collection privée).

Parler des finances de René de Challant, c'est forcément aussi parler de ses mariages, et des deux premiers en particulier. Il épouse à l'été 1522 Bianca Maria Gaspardone (ou Scapardone), sensiblement du même âge que lui (née entre 1499 et 1501), fabuleusement riche par son père, trésorier du Monferrat, et veuve d'Ermes Visconti, d'une branche cadette de la grande famille milanaise. Ce dernier fut accusé, probablement, de conspiration et certainement décapité à Milan en 1519 par les Français qui occupent la ville de nouveau après en avoir été bannis peu de temps auparavant. La jolie veuve se constitue une dot de 25000 ducats d'or (voir par exemple Bellavitis Anna, "Dot et richesse des femmes à Venise au XVIe siècle" in Clio, Femmes, Genre, Histoire, 7/1998) sur les rentes de différents biens qu'elle possède dans la région d'Alessandria. Nos tourtereaux (ils ont à peu de chose près vingt ans!) s'installent dans un premier temps à Ivrea, auprès du duc de Savoie. René de Challant donne à sa femme le château de Châtillon comme résidence, ce qu'il inscrit dans son testament en 1523 (voir PROTOCOLLI DUCALI, CAMERALI E MONFERRATO DELL’ARCHIVIO DI STATO DI TORINO - Sezione 1°, 15/09/1523, 1523, settembre 15, Testamento di Renato di Challant, prot. duc. 188, f. 182) au moment de partir à la guerre, avec le roi de France contre le duché de Milan. Mais il semble que la demeure n'ait pas suffi à la jeune épousée, ni l'éloignement des grandes villes et de leurs activités, ni l'absence de fréquentations élégantes et cultivées. Profondément insatisfaite, comme sans doute aussi de la guerre contre Milan menée par son mari, elle laisse Châtillon derrière elle, rejoint assez rapidement Pavie, puis Casale, sa ville d'origine, puis Milan.

Ne manquant ni de moyens ni d'admirateurs, elle fut maîtresse pour un temps de Ardizzino Valperga comte de Masino (d'une famille piémontaise qui sera par la suite en opposition frontale avec René de Challant), qu'elle abandonne ensuite pour le napolitain Roberto Sanseverino comte de Caiazzo, puis pour Pedro Cardona, espagnol de la cour de Charles Quint. Le comte de Masino, jaloux et furieux, fait alors courir sur elle toutes sortes de bruits, pour le moins injurieux. Elle ordonne alors à Pedro Cardona de la venger de Masino, qui est assassiné. Prise avec tous ses complices, elle est condamnée et décapitée le 20 octobre 1526. Dans une lettre écrite au duc de Savoie, René de Challant réagit alors de la manière suivante: "Monseigneur, j'ai reçu la lettre qui vous a plu m'écrire et ne vous saurais assez remercier très humblement la peine et fâcherie, qui vous plait prendre pour moi et aussi de l’honneur, qui vous plut me faire, monseigneur, avoir entendu la réponse de l'affaire de la détenue ; me déplait que par votre moyen ne l'ai pue avoir [l'affaire], pour démontrer à tout le monde la volonté que j'avais à lui faire connaître son erreur et fautes, mais puisque Dieu veut qu’elle soit punie par autre que par moi, vous supplierai n’en prendre plus peine, mais en laisser venir ce que pourra, car je vois que l’on n’y saurait avoir honneur semblable de ses affaires, pourquoi, monseigneur, de ceci et autre chose m’en remets toujours à obéir à votre commandement " (voir G. Fornaseri, Le lettere di Renato di Challant governatore della Valle d’Aosta a Carlo II e ad Emanuele Filiberto, Turin, Deputazione subalpina di storia patria, 1957).

Sainte Catherine sous les traits de Bianca Maria, dans une image inspirée probablement, selon des commentaires contemporains, à une nouvelle de Matteo Bandello. Bernardino Luini, Affreschi di santa Caterina, Milano, San Maurizio al Monastero Maggiore, Cappella Besozzi, ca. 1529 (photo collection privée).

Avant cette fin tragique, il semble que René aussi ait été se chercher des consolations ailleurs, dont il a eu au moins deux enfants naturels, qui restent relativement très proches de lui (voir Tillier, Jean-Baptiste de, Historique de la vallée d'Aoste, Aoste, 1887 et encore Tillier Jean-Baptiste de, Nobiliaire du Duché d'Aoste, Éditions de la Tourneuve, 1970 [voir la partie "Challant", première édition manuscrite de la première moitié du XVIII siècle, dans une copie manuscrite de la fin du XIXe siècle]). Le premier fut François de Challant, qui fut membre du clérgé, abbé de Saint-Sulpice en Bugey, tout près de la seigneurie de Virieu de le Grand, appartenant à René, puis, à partir de 1544, prévôt commendataire du couvent des chanoines réguliers de Saint-Gilles à Verrès (jusqu'a sa mort en 1584), institution valdôtaine qui reste sous la coupe de la famille Challant presque sans interruption jusqu'au début du XIXe siècle. La deuxième fut Claudine de Challant, qui fut l'épouse de Noble Roz soit Rodolphe Favre, lieutenant général de René de Challant dans toutes ses terres seigneuries et places fortes.

Mencie, comtesse de Challant (collection privée, après restauration).

Le deuxième grand mariage de René de Challant fut avec Mencie de Bragance. Le 7 janvier 1528 est signé, au château de Chambery, le contrat de mariage en présence des époux, René et Mencie, et en présence probable de Philippe de Savoie-Nemours, comte apanagiste de Genève. Le duc de Savoie offre à René de Challant la main de Mencie, fille de Denis de Portugal, duc de Bragance et comte de Lemos, et de Béatrix de Castro Osorio. Elle est la cousine de sa propre épouse, Béatrice, fille du roi du Portugal Emmanuel Ier. Le jour suivant, Mencie était nommée dame d’honneur de la duchesse de Savoie avec un traitement de 400 écus. Elle apporta à Challant 18000 écus d’or de dot et la duchesse lui en alloua sur sa cassette privée 10000 de plus.

Arbre généalogique simplifé de Mencie du Portugal, épouse de René de Challant en 1528. Par elle, il rentre dans les plus grandes familles regnantes d'Europe (et d'ailleurs) de l'époque (source et réalisation : Paulette Taieb et Giulio Romero Passerin d'Entrèves https://www.taieb.it/bnv/).

Ce deuxième mariage de René de Challant fut sans doute beaucoup plus heureux, puisque René en écrit pudiquement au duc de Savoie au décès de son épouse, en 1558, "Je ne veux écrire à votre altesse quel regret j’en ai conçu, ne pouvant être plus grand que de la séparation de deux qui en telle amitié ont vécu si longuement ensemble"(voir G. Fornaseri, Le lettere di Renato di Challant governatore della Valle d’Aosta a Carlo II e ad Emanuele Filiberto, Turin, Deputazione subalpina di storia patria, 1957). Et tout au long des documents d'archives, on perçoit un réel partage des droits et devoirs, des tâches de gestion et d'administration dans le couple. Et le rôle de Mencie lors des absences répétées de René (prisonnier, missions, négociations...) est fondamental, pour le couple comme pour leur famille. Seule ombre au tableau, ils n'ont que deux filles à la mort de Mencie en 1558, Philiberte, née probablement en 1528 ou 1529, et Isabelle, née probablement en 1530 ou 1531. Cela n'arrange pas les problèmes dynastiques dans la famille, et repropose, à un peu plus de 100 ans de décalage, presque les mêmes difficultés déjà rencontrées, en son temps, par François de Challant, père, et ses filles Catherine et Marguerite.

Les manières pour résoudre ces difficultés sont de deux ordres chez René de Challant. Il va d'une part se remarier, par deux fois au moins, avec des femmes (beaucoup!) plus jeunes que lui, dans la tentative d'obtenir un fils à tout prix. Il épouse ainsi, en mai 1561 (il a 57 ou 58 ans), Marie de la Palud, fille du comte de Varax, qui a probablement 25 ans (1533 mariage de ses parents, 1544 mort de son père, voir aussi, pour ses précédentes mésaventures, Perrier Ferdinand, Nouveaux souvenir de Fribourg, ville et canton, Fribourg, 1865, p 234), et qui meurt en couches au château d'Issogne en mars 1563. Il épouse sans doute ensuite Perronne de la Chambre, mais ce mariage est mal documenté, sauf sur le fait qu'il n'ait pas porté de fruits et que l'épousée soit morte en couches également (voir F.G. Frutaz, "Notes sur René de Challant et sur le passage de Calvin dans la vallée d'Aoste", dans Musée Neuchâtelois, novembre-décembre 1904, p.17). Il est remarquable que Jean-Baptiste de Tillier, dans son Nobiliaire du duché d'Aoste lui attribue non seulement un mariage supplémentaire, mais aussi un ordre différent (et erroné!) dans cette suite de mariages, faisant planer le mystère sur le pourtant plus célèbre et le mieux documenté des comtes de Challant. On imagine facilement que la coexistence entre ses filles, Philiberte l'aînée, Isabelle la cadette, leurs époux, et les nouvelles épouses de René ne se passe pas le mieux du monde. Le comte de Challant semble de fait avoir passé la fin de sa vie plutôt du côté de l'Ain, de la Bresse et du Bugey, même si ses deux dernière épouses se sont éteintes dans le château d'Issogne. Lui meurt le 11 juillet 1565 à Ambronay, en Bresse. Il s'y est retiré, nous disent les documents, pour passer ses derniers jours dans le calme et le recueillement. Il est enseveli dans l’abbaye de Saint-Sulpice en Bugey, mais nous ignorons les circonstances exactes de sa mort. Son corps a dû être ensuite transporté à Aoste, dans la crypte de l'église du couvent des cordeliers de Saint-François, mais nous n’avons aucun détail à ce sujet.

L'autre manière de résoudre ce manque d'héritier garçon est de faire arriver le comté à son gendre, Jean Frédéric Madruzzo, comte d'Avio, appartenant à la prestigieuse mais récente dynastie, qui obtient et tient l'évêché de Trente au cours du XVIe siècle, dont on connait l'importance religieuse (voir en approche simple Larousse Encyclopédique, "Le concile de Trente", et en approche complexe TALLON Alain, "La France et le concile de Trente (1518-1563)", dans Bibliothèque des Ecoles Françaises d'Athènes et Rome, N° 295, Rome, 1997).

I- Château d'Avio, dans le Trentin Haut-Adige. Construit avant le XIe siècle, fresques début XIV. II- Tour des Malaspina ("Torrione Malaspiniano") à Trente, dans le Trentin Haut-Adige. Reconstruite en 1595.

Prestigieux, riche, et cultivé (voir sa bibliothèque d'après l'inventaire après décès, sur Bibliothèques Nobiliaires Valdôtaines), même si de noblesse relativement récente, il constituait un très beau parti. Mais suite au refus de Philiberte, fille aînée de René de Challant, de l'épouser (elle s'enfuit en 1557 peu avant le mariage avec l'ecuyer dont elle est enceinte), c'est Isabelle, fille cadette, qui l'épouse, se pliant à la volonté paternelle. Dans la lancée, son père deshérite sa fille aînée et rend Isabelle son héritière universelle, et son gendre comte après lui.

Portrait en pied de Gian Federico Madruzzo, par Giovanni Battista Moroni (peint vers 1560, National Gallery of Art, Washington DC)

On trouve très peu d'informations sur Châtillon durant la période qui va de la mort de Mencie (1558) à celle de René (1565). Quelques visites faites par Philiberte de Challant, documentées par des comptes de 1558, et le passage d'Emmanuel Philibert au château en 1561. Et également la mise à ferme du château, peut-être après 1561 et le passage du duc, et avant 1565, date de mort de René (déjà cité, voir ARCHIVES DE CHALLANT, VOLUME 104, CASTIGLIONE, PEDAGGI, TAGLIE, SALVAGUARDIE, MOLINI, FORNI, MACELLO, Mazzo 1°, 14, sans date mais avant 1565). Par contre, dans toute la série documentaire qui suit la mort de René, Châtillon se fait plus présent, d'autant plus qu'il change alors de branche de la famille.

A la mort de René de Challant, en 1565, commence en effet pour sa fille Isabelle une période tourmentée, occupée par des querelles avec toute la parenté. Son mari, à partir de 1574, vécut presque sans interruption à Rome, chargé d’ambassade auprès du pape Grégoire XIII, d’abord par le duc de Savoie, et ensuite par l’Empereur Rodolphe II. Mais il semble que les relations avec son épouse, que les observateurs définissent « hautaine et vaniteuse » (voir MADRUZZO, Giovanni Federico in « Dizionario Biografico Treccani ») n’étaient plus très suivies, et qu’il ne lui apporta dans les faits que très peu d’aide.

Philiberte, par contre, pardonnée par son père à la fin de sa vie, et épousée par le comte Giuseppe Tornielli, de Novare, réclamait son droit d’aînesse, malgré le testament en sa défaveur du 10 Mai 1557. Ceci étant, après diverses tentatives de revendication, elle finit par se contenter de la moitié de la baronnie de Bauffremont proposée par sa sœur.

Les quatre cousins de la branche de Fénis sont plus difficiles à contenter. Ils obtiennent, en vertu de la succession en ligne masculine, les seigneuries de Châtillon et d’Ussel/Saint-Marcel. Ainsi, François de Challant garde la baronnie de Fénis, Georges obtient celle de Châtillon, Jean celle de Saint-Marcel. Claude, artisan de l’accord et proche des ducs de Savoie, obtient celle de Saint-Vincent. Mais de ces accords, qui actent le départ vers les Madruzzo du comté de Challant, prend naissance une procédure judiciaire qui se poursuivra plus d’un siècle, jusqu’au retour du titre dans la vallée, et dans la nouvelle branche Challant Châtillon.

Les Challant-Fénis, barons et seigneurs de Châtillon


Pendant ce temps, à la mort de ses frères, les seigneuries d’Ussel et de Saint-Marcel reviennent dans le patrimoine de Georges de Challant, baron de Châtillon, ainsi que les fonctions de Claude, colonel des milices valdôtaines, bailli, gouverneur et lieutenant général du duché d’Aoste et de la province d’Ivrée.

Généalogie des Challant, seigneurs, barons, puis comtes de Châtillon, d'après TILLIER Jean-Baptiste de - Nobiliaire du Duché d'Aoste - Éditions de la Tourneuve - 1970 [première édition manuscrite première moitié du XVIII siècle] [voir la partie "Challant", première édition manuscrite de la première moitié du XVIII siècle, dans une copie manuscrite de la fin du XIXe siècle] et d'après VACCARONE, Luigi, I Challant e loro questioni per la successione ai feudi dal XII al XIX secolo, Turin, 1893.

C’est Paul-Emmanuel (voir Alerini, Julien, Madruzzo et Challant : noblesse seconde du Val d'Aoste (1590-1641), mémoire de maîtrise soutenu sous la direction de Mme Nicole Lemaître et M. Giulio Romero Passerin d'Entrèves, Univ. de Paris I Panthéon Sorbonne, 1998) son fils, qui prend ensuite en mains la baronnie de Châtillon, avec tous ses fiefs. Né à Châtillon en 1586, Paul-Emmanuel reprend également les charges militaires de son père. Il se fait remarquer en 1617 par le vol, hardi, des archives des comtes de Challant conservées au château de Verrès. Elles seront le fer de lance du procès contre les Madruzzo. Il est aussi, malgré quelques vicissitudes, à l’origine du couvent des Capucins de Châtillon (1646), auquel il laisse un legs important par testament. Il meurt à Aoste le 17 septembre 1641, et repose, comme son père, dans l’église du couvent de St. François, à Aoste.

Retour du comté et fin de la dynastie


Seul fils survivant, François-Jérôme, prend alors les rênes de la seigneurie de Châtillon. Il a la chance par la suite, de pouvoir, avec son cousin Antoine-Gaspard de Fénis, rentrer en possession du titre (et des seigneuries) des comtés de Challant comme de la baronnie d’Aymavilles. Le très long procès intenté contre les héritiers de René de Challant s’achève en effet en leur faveur, en 1696.
Le colonel des milices, François-Jérôme de Challant, ne fait pas preuve d’une grande ferveur militaire, mais obtient de son épouse, la pieuse Diana Solaro de Moretta, dix-neuf enfants, dont neuf meurent en bas âge. Lui-même s’éteint en 1702, distribuant l’héritage entre ses deux aînés survivants : à Georges-François, le comté de Challant, avec les seigneuries de Graines, Verrès, Issogne et la baronnie de Châtillon ; à Joseph-Félix Ussel et Saint-Marcel. Ce dernier obtint de plus, en 1708, les baronnies d’Aymavilles et de Fénis, par l’extinction de la branche des barons de Fénis. Georges-François fut l’époux de Paolina Solaro di Govone, à qui l’on un premier réaménagement massif du château de Châtillon, et la plantation de ceux qui sont devenus depuis les arbres monumentaux du parc, aujourd’hui ouvert au public.
Charles-François-Octave (1711-1770), son fils aîné, lui succède dans ses titres (1729). Il est capitaine des Dragons de Sa Majesté, et est le dernier Challant d’une certaine renommée, encore actif auprès de la cour des Savoie.
L’événement le plus marquant de l’existence de son fils et successeur, François-Maurice Grégoire (1749-1796), fut le mariage avec la comtesse Gabriella Canalis de Cumiana, nièce de Vittorio Alfieri, et apparentée avec Anna Canalis di Cumiana (1679- 1769), épouse morganatique de Victor-Amédée II de Savoie. Ils eurent ensemble Jules-Hyacinthe, dernier comte de Challant (1795-1802), de constitution fragile, et mort à l’âge de 7 ans , semble-t-il, d’une indigestion de châtaignes (voir Mémoire de Davy Marguerettaz, Le dernier sceau de la Maison de Challant, Gabrielle Canalis de Cumiana, veuve de Challant, Université de Padoue, 2019, p. 39).

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