Les Passerin d'Entrèves et de Courmayeur à Châtillon

Présentation

Dans un « Livre de mémoire » de 1663, probablement encore conservé dans les archives du Château Passerin d’Entrèves de Saint-Christophe, près d’Aoste, Jean-Michel Passerin écrivait les relations d'événements, des mémoires d'affaires et de menus détails d'administration, ainsi que des notes rélatives aux naissances, mariages et décès des Passerin d'Entrèves et de Courmayeur. Il leur ajouta un petit arbre généalogique. Ces quelques écrits ont inspiré Alexandre Passerin d’Entrèves dans l’écriture de son ouvrage, Les Passerin, publié chez F. Viassone, à Turin, en 1933, dont nous nous inspirons à notre tour pour ces quelques lignes. Si ces notes ne constituent pas une histoire exhaustive de la famille Passerin d'Entrèves et Courmayeur, elles permettront néanmoins d’en faire connaître quelques grandes lignes. 

Alexandre Passerin d’Entrèves, Les Passerin, publié chez F. Viassone, à Turin, en 1933.

Les Passerin avant Châtillon

L'arbre généalogique de 1663 mentionne comme souche de la famille un «Andruetus Passerini florentinus qui propter intestina bella in hanc patriam se contulit circa annum Domini 1370». Si les archives ne nous ont livré ni Andruetus ni Passerini de façon documentaire directe, il existe bien encore en 1427 un Niccolino di Michele Passerini à Florence, figurant au cadastre comme propriétaire d'au moins trois biens (David Herlihy and Christiane Klapisch-Zuber's Catasto, voir aussi Klapisch-Zuber Christiane, "Du pluriel au singulier ou de la collaboration entre histoire quantitative et prosopographique" in Mélanges de l'école française de Rome, Année 1988, 100-1, pp. 241-245). D'autre part, l'Archivio di Stato de Florence a reçu en 1852 une donation Passerini, contenant des documents datant pour les plus anciens de 1096, qu'il faudrait sans doute consulter de manière approfondie pour en savoir davantage, mais qui nous donne pour le moins une piste. Enfin, à Sienne comme à Florence, différentes familles Passarini ou Passerini portent des armoiries proches de celles des Passerin, à l'émail d'azur en fond, et au mobilier en or ou en argent (bandes, faisceaux, quartiers...). L'origine des Passerin serait donc, selon cet arbre et ces indices, florentine, et daterait, peut-être, de la fin du XIe siècle, mais seulement du XIVe pour sa présence au Val d’Aoste. Les premières résidences valdôtaines de la famille seraient dans le hameau de Crétaz, sur la commune de Valtournenche, toutes proches du Cervin.

Carte de la vallée du Cervin contemporaine (GoogleMaps) et image satellite (Google Earth).

Jean-Baptiste de Tillier dans son Nobiliaire du duché d’Aoste (Editions de la Tourneuve, Aoste, 1970), rapporte, à propos des origines de la famille, au chapitre PASSERIN, la tradition suivante:

« famille qui selon le dire de quelques personnes doit avoir tiré son origine de l'Italie (en marge: Florence) du temps que les Guelfes et les Gibelins la déchiraient par leurs partis, qu'un de ceux-là pour s'éloigner de ces factions ou pour avoir été par quelque autre raison obligé d'en sortir s'en retira et sa famille avec une grosse somme de deniers et autres effets considérables, vint s'établir dans le Duché d'Aoste et alla se rencoigner dans les montagnes de Valtornenche où la sortie voisine le tenoit à portée de passer plus loin en cas qu'on le fut venu inquiéter dans sa retraite et dans sa solitude où il vécut incognito et en repos sous le nom d'Andriveti, qu'il prit pour n'être pas connu sous celui de sa famille qui devait avoir un rang distingué dans sa faction dont le parti était pour lors ruiné et qu'un des fils du dit aventurier dont on ignore le nom acquit après la mort de son père de grands biens fonds non seulement au dit lieu de Valtornenche mais encore ailleurs rière les terres de Cly et de Châtillon, qui commencèrent à le faire connaître dans le Duché... ».

De Tillier ne cherche pas à établir ce qu'il y a de vrai ou de vraisemblable dans cette tradition, ni à connaître les circonstances qui pourraient y avoir donné lieu ; il se borne à exprimer quelques doutes sur son exactitude historique et fixe comme tige de cette famille un Pierre Passerin, surnommé Andriveti, qui aurait vécu à Valtournenche vers 1400.

Armoiries de la famille Passerin d'Entrèves et de Courmayeur (d'après Alexandre Passerin d’Entrèves, Les Passerin, publié chez F. Viassone, à Turin, en 1933) : barons de Courmayeur (en un et quatre, parti d'or et d'argent, au lion de sable lingué de gueules, qui est Courmayeur), comtes d'Entrèves (en 2 et 3, d'argent au château au soleil de gueules, qui est Entrèves) et Passerin par dessus (d'azur au sautoir d'or, cantonné de quatre étoiles du même, qui est Passerin). Devise: "Virtus coelos terrasque rapit". Armoiries Passerin telles que présentées dans le Nobiliaire de Jean-Baptiste du Tillier, manuscrit de 1726.

En laissant de coté la question de l'origine, florentine ou non, de la famille Passerin, nous dirons que ce qui est certain c'est que ses membres les plus anciens portèrent d'abord le nom d'Andrivetus, ensuite d'Andrivetus Passerini pour ne retenir plus tard, au commencement de 1400, que celui de Passerini ou Passerin. Trois actes, de vente ou de donation (Archives Passerin d’Entrèves, Château de Saint Christophe, Aoste, A.P.E.), attestent la présence de la famille à Valtournenche en 1377, 1456, et 1473. En tout cas, le premier dont on puisse avoir connaissance et dont on puisse établir une descendance documentée est un Stepheninus vel Steveninus de Crista, vivant à Cretaz, dans la commune de Valtournenche, vers la fin du XIVe siècle. Celui-ci deviendra ainsi le point de départ de la généalogie connaissable de la famille.

Arbre généalogique simplifié des Passerin d'Entrèves et de Courmayeur qui ont détenu ou détiennent le château de Châtillon, du XIXe siècle à aujourd'hui.

La famille des Passerin, arrivée dans la vallée avec semble-t-il beaucoup d’argent, prend donc un essor considérable, et figure dans l'histoire de la vallée, tant dans les charges administratives et politiques que dans celles religieuses et militaires. C’est en 1556 qu’Emmanuel Philibert, Duc de Savoie, concède des patentes de renouvellement de noblesse aux frères Jean et Pierre, fils de Jean Passerin, ainsi qu’à Jean, fils de Grat, conçues dans des termes très honorifiques, pour récompenser les Passerin de leur vaillance militaire et leur fidélité, à une époque où elles sont rares (le duché en est alors réduit à sa surface géographique la plus réduite, et sa réputation est au plus bas). Ils sont d’ailleurs présents en 1557 à la bataille de Saint-Quentin, avec le Maréchal René de Challant et le duc de Savoie.

Par ailleurs, jouissant du droit de milices, ils sont investis de multiples fiefs, et sont considérés comme descendants de quatre aïeux nobles, paternels et maternels. Ils ont occupé de nombreuses charges nobles avant même les patentes de 1556 (Jean Passerin seigneur impair en 1466 ; Jean Passerin, Vibailly du Duché d'Aoste en 1520, consul du bourg de la cité d’Aoste en 1540 ; Jean Passerin, mais est-ce le même, châtelain du Mandement de Quart et d'Oyace, avec et au nom de son frère Pierre en 1555). Les différents fiefs déterminent plusieurs branches de la famille au cours du temps (d’Entrèves et de Courmayeur, de Brissogne, d’Escalier, de Fornet…), mais il ne subsiste de nos jours que la branche des Passerin d’Entrèves et de Courmayeur.

Château de Saint-Christophe, propriété des Passerin d'Entrèves depuis 1814. Image générale tirée de l'émission de télévision sur la télé italienne RAI 3, Pangea, réalisée par Frank Vanzetti pour L J Video Prod. en 2017, et dédiée aux châteaux privés du Val d'Aoste : Le château de Saint-Christophe à Sorreley (en italien). Image intérieure tirée du livre de Maria-Crisitna Ronc et Davide Camisasca, Castelli, Un viaggio fra le antiche dimore della Valle d'Aosta, Musumeci Editore, Aosta, 1991.

La famille a détenu et détient encore quelques maisons prestigieuses au Val d’Aoste, parmi lesquelles le château Sarriod de la Tour, à Saint-Pierre (désormais vendu), la maison forte d’Entrèves, au pied du Mont Blanc, le château de Saint-Christophe, à Sorreley, près d'Aoste, précieux par les archives familiales qu'il détient encore, et le château de Châtillon, où se trouvaient jusqu’aux années 1970 les archives Challant, cédées depuis à la région, et consultables auprès des Archives Historiques Régionales, à Aoste (inventaires des fonds).

Château de Saint-Christophe       -       Château de Châtillon       -       Maison forte d'Entrèves

Il n'est pas inutile de s'intéresser à la famille Passerin d'Entrèves et de Courmayeur juste à la génération précédant leur arrivée au château de Châtillon. En effet, de l'union entre Jean-François Elzéard et Noble Marie-Anne Dichat de Toisinge, fille d'un sénateur au Sénat de Savoie (voir Chevallier Laurent, Ticon Joseph, "Une dynastie de juristes savoyards: les Dichat de Toisinge" in Le Globe. Revue genevoise de géographie, Année 1985 125 pp. 91-103), naissent 18 enfants, dont Aimé-Louis-François-Marie Passerin d'Entrèves et Courmayeur était le 11ème. 

Contrat de mariage entre Jean-François-Elzéard Passerin d'Entrèves et Marie-Anne Dichat de Toisinge, établi à Chambéry, le premier octobre 1761 (Collection privée). 

Ils ont 10 filles (55,5% du total, durée de vie moyenne de 19,3 ans, dont trois seulement arrivent à l'âge adulte), et 8 garçons (44,5% du total, durée de vie moyenne de 35,5 ans, dont 4 seulement arrivent à l'âge adulte). Au décès des parents (en 1799 pour elle et en 1806 pour lui), ils comptent encore 7 enfants vivants sur les 18 naissances, et à la mort d'Aimé-Louis, en 1846, il ne survivait, des 18 frères et sœurs, que Jean-Claude, 15e en rang de naissance, et seul sur les 18 à continuer la descendance! Cette hécatombe familiale n'est pas unique en son genre, puisque d'autres branches des Passerin, dotées d'autres fiefs, s'éteignent (Passerin de Brissogne, Passerin d'Escalier, Passerin de Fornet), soit à la génération de Jean-François-Elzéard, soit à la génération suivante. Mais à aucune autre génération on ne trouve 18 enfants portés par la même femme (12 maximum deux générations plus tôt), a fortiori dont un seul assure la descendance!

Aimé Louis Passerin d'Entrèves et de Courmayeur, autour de 1835. Collection privée.

Les Passerin d'Entrèves et de Courmayeur à Châtillon

Il nous faut nous attarder un peu sur Amé-Louis-François-Marie Passerin d’Entrèves et de Courmayeur, né en 1773. Il fut un militaire de renom, Lieutenant Colonel d’Infanterie en 1828, conseiller-né au conseil des Commis du Duché d’Aoste, commandeur de l’ordre des Saints Maurice et Lazare, etc… Durant la deuxième insurrection des Socques (janvier 1801), encore assez jeune officier, nous dit sa légende, il réussit à tirer la comtesse Gabrielle Canalis de Cumiana, veuve de Challant, des prisons d'Ivrea où elle était détenue par les troupes françaises révolutionnaires (le val d'Aoste est occupé de 1794 à 1814), et à la ramener à Turin sans encombre. Même si cet épisode est battu en brèche par de récents travaux (voir le mémoire de Davy Marguerettaz, Le dernier sceau de la Maison de Challant, Gabrielle Canalis de Cumiana, veuve de Challant, Université de Padoue, 2019, p. 52), il devient par la suite intendant des biens Challant au Val d'Aoste, pendant quelques années, et convole enfin en justes noces avec Gabrielle Canalis de Cumiana, veuve du dernier des comtes de Challant, François-Maurice, en 1814. Il a 41 ans quand il l'épouse, et elle 44, ce qui fait qu'ils n'ont pas de descendance.

Gabrielle de Cumiana, veuve de Challant, épouse de Aimé Louis Passerin d'Entrèves, buste conservé dans la chapelle du château de Châtilloon. Peut-être réalisé à partir d'un moulage post-mortem.

Elle décède en 1841, et il en hérite donc. Il est la cause de l’arrivée du château de Châtillon dans les biens des Passerin d’Entrèves et de Courmayeur, avec beaucoup d'autres biens: Vaccarone écrit qu'il hérite de "tous ses biens, et châteaux de Châtillon, Issogne, Challant, Graines, Verrès, Montjovet, Chenal et Ussel" (voir L.Vaccarone, I Challant e le loro questioni per la successione ai feudi dal XII al XIX secolo, Torino, Casanova Editore, 1893). A sa mort à lui, en 1846, il légue l’ensemble de ses biens, ainsi que l’ensemble des biens restant des Challant, à son frère Jean-Claude, dernier survivant et seul avec enfants, qui les transmet a ses descendants, jusqu’à aujourd’hui.

Jean-Claude (né au château de Châtillon même en 1779, et mort à Turin en 1855) est pour sa part juriste et magistrat, et suit également une carrière administrative et politique (vice-intendant de la province d'Aoste, pair-né du duché d'Aoste, conseiller du Conseil des Commis, sénateur au Sénat de Piémont, Président de Classe au Sénat de Gênes...). Il épouse Noble Thérèse Crotti di Costigliole, dont il a trois enfants. Christin, le troisième, continuera la descendance. Jean-Claude est, sans doute, à l'origine de nombreux ajustements et travaux dans le château de Châtillon. Cette première vague de modernisations (tour romaine hexagonale et probablement restes de pont-levis remplacés par une maison de gardiens en 1855, eau courante et salles de bain systématiques...), fait passer le château de Châtillon au statut de villa luxueuse et de prestige à son époque, inspirée peut-être des villas palladiennes de vénétie.

Le château de Châtillon avant et après 1855. On voit dans la gravure de gauche la tour hexagonale, disparue après 1855, l'absence de la tour du Levant, qui vient rendre symétrique la façade du châteauet après 1855, et la jonction qui semble déjà faite entre la tour de la chapelle et le bâtiment principal, par l'aile de service. A gauche, Château de Châtillon, probablement entre 1841, date de mort de Gabriella de Cumiana, veuve de Challant, et 1855, date de destruction de la tour hexagonale, ici sur la gauche du bâtiment (gravure de Enrico Gonin, collection privée) ; à droite gravure extraite de l'ouvrage d'Alexandre Passerin d’Entrèves, Les Passerin, publié chez F. Viassone, à Turin, en 1933, p. 78-79.

Christin Passerin d'Entrèves et de Courmayeur (1830-1896) épouse Noble Irène Gromis di Trana, originaire de Biella. De leurs huit enfants, trois continuent la descendance.

Et c'est Hector (1863-1936?), quatrième enfant et premier garçon survivant qui reprend le château de Châtillon. Il fut longtemps député de la province et maire ("syndic" au Val d'Aoste) de Châtillon. Il est l'acteur d'une histoire triste, puisqu'il épouse Maria Gamba (dont il a sept enfants), et que sa soeur, Angélique Passerin d'Entrèves et de Courmayeur (1871-1909) épouse Charles Maurice Gamba (1869-1928), frère de Maria. Les barons Gamba (barons depuis 1835, famille de savants, de peintres, de juristes, de médecins...) n'ont malheureusement qu'une fille morte en bas âge.

Hector Passerin d'Entrèves et de Courmayeur (date inconnue, collection privée).

Maria Gamba épouse Passerin d'Entrèves et de Courmayeur (date inconnue, collection privée).

Mais cette double histoire d'amour croisée et la proximité entre les deux couples sont telles que Charles-Maurice Gamba fait construire, à proximité de Châtillon (hameau de Breil), un château, fini en 1903, qui permet à Angélique de rester à proximité de ses terres ancestrales et de son frère. Mais de complexion faible, et psychologiquement peu solide, elle meurt à l'âge de 38 ans, désespérée de n'avoir pas eu d'enfants, mais tant de neveux et nièces (10 au total). L'hérédité d'Angélique comme celle de son mari reviennent alors dans le patrimoine des Passerin d'Entrèves et de Courmayeur, de Châtillon. Le château Gamba, cédé par la famille Passerin d'Entrèves et de Courmayeur à la région Vallée d'Aoste dans les années 1980, est désormais le Musée d'Art Moderne et Contemporain de la région Val d'Aoste.

Château de Breil, vu de l'est. Armoiries conjointes des barons Gamba et des Passerin d'Entrèves et de Courmayeur dans la grande salle du château. Assiette avec un monogramme "G" pour "Gamba", surmonté d'une couronne baronale (collection privée).

La modernité du château de Breil (et de son parc, voulu presque jumeau de celui du château de Châtillon) est remarquable : premier ascenseur de la vallée, tour panoramique, organisation ultra-moderne pour l'époque (cuisines, salles de bain, chauffage, écuries...).

Armoiries des comtes Passerin d'Entrèves et de Courmayeur et des barons Gamba, telles qu'elles étaient représentées, en noir et blanc (Passerin) ou en bleu et blanc (Gamba), sur la vaisselle de leurs services d'apparât (collection privée).

Les Passerin d'Entrèves et de Courmayeur s'en inspirent alors, pour le château de Châtillon. L'électricité, le chauffage (chaudière à charbon), une organisation plus systématique des salles de bain et WC sont ainsi implémentés dans l'antique forteresse, recyclée en villa de prestige. Et le château passe ainsi sans encombres le XIXe siècle et la période de la première guerre mondiale, périodes peu sensibles dans les montagnes du Val d’Aoste.

Charles-Pierre-Christin-Albert-Marie (1889-1963), deuxième fils d'Hector et Maria, prit la suite de Châtillon à la mort de son père, en 1936 (biographie). Avec son épouse Noble Paule (dite Lola) marquise Ferrero de Palazzo et d'Ormea (1891-1958) (voir par exemple Costamagna Henri, "L'édit de 1733 sur l'administration communale du Piémont et son extension aux Etats de la maison de Savoie" Cahiers de la Méditerranée, Année 1994 48 p. 122), il continua de moderniser le château (chauffage au fuel, premiers travaux de réaménagement dans les tours, premiers travaux de remise en état des toits...), malgré ses préoccupations professionnelles (Vice-président de la Caisse d'épargne de Turin,) politiques (podestà de la ville de Châtillon de 1928 à 1929) et religieuses (tiers-ordre franciscain, voir par exemple Claude Savart, "Essai de description du tiers-ordre franciscain en France dans la seconde moitié du XIXe siècle", Revue d'histoire de l'Église de France Année 1984 184 pp. 167-180). Il a également publié des articles et des ouvrages divers, sur l'histoire de la vallée, l'histoire des Challant, et un témoignage sur la seconde guerre mondiale et la résistance au Val d'Aoste (bibliographie).

Le château subit, comme la famille, les "foudres" de l’occupation allemande pendant la seconde guerre mondiale : occupé par un commandement militaire, ses habitants doivent trouver refuge, à Turin, pour les uns, en Suisse pour Hector Passerin d’Entrèves, fils aîné de Charles-Pierre, et son épouse Vittoria, entrés en résistance contre les fascistes, puis contre les allemands, assez tôt pendant la seconde guerre mondiale, et recherchés par toutes les polices et milices fascistes, italiennes ou allemandes, de la vallée (voir Alpi in guerra Alpes en guerre 1939/1945, Museo diffuso della Resistenza, della Deportazione, della Guerra, dei Diritti e delle Libertà, guide d'exposition)(voir Charles Passerin d’Entrèves, Episodes de la résistance en vallée d’Aoste – la tempëta dessu noutre montre, éd. La Nuova Italia editrice s.p.a., Aoste, 1975).

Ouvrage de Charles Passerin d’Entrèves, Episodes de la résistance en vallée d’Aoste – la tempëta dessu noutres montagnes, éd. La Nuova Italia editrice s.p.a., Aoste, 1975

Il subsiste quelques traces de cette période dans le château, que ce soit des balafres sur le billard, ayant servi de salle d’opérations pour les allemands, des impacts de balles, des allemands ou des résistants, sur les murs, ou encore, sur une des portes dans la cave, des inscriptions des ukrainiens, prisonniers des allemands, et qui faisaient « le service » pour les officiers hébergés dans le château. Quelques casques, armes, ou baïonettes allemands sont encore conservés et visibles dans la salle des archives, avec le certificat des « Monuments Men » américains d’après-guerre, qui garantit le château de toute occupation et bombardement.

Aimé Louis Passerin d'Entrèves et de Courmayeur, autour de 1835 (collection privée).

Jean Claude Passerin d'Entrèves et de Courmayeur, autour de 1835 (collection privée).

Christin Passerin d'Entrèves et de Courmayeur, en 1897 (collection privée).

Hector Passerin d'Entrèves et de Courmayeur (date inconnue, collection privée).

Carlo Piero Passerin d'Entrèves et de Courmayeur, dans les années 1940 (collection privée).

Alessandro Passerin d'Entrèves et de Courmayeur, vers 1960 (collection privée).

Vittoria Torrigiani Malaspina et Ettore Passerin d'Entrèves (et de Courmayeur) lors de leur mariage, en 1939 (collection privée).

Ettore Passerin d'Entrèves (et de Courmayeur), et son petit-fils, à la fin des années 1960 puis en 2023 (collection privée).

Claudia Passerin d'Entrèves (et de Courmayeur), en 2017 (extrait de l'émission Pangea, de Frank Vanzetti, 2017, Le château de Châtillon, en italien) et en 2023.

Les membres de la famille Passerin d'Entrèves et Courmayeur et leurs proches, ayant possédé ou vecu, et possédant encore aujourd'hui le château de Châtillon depuis le début du XIXe siècle.

Hector (Ettore) Honorius Passerin d'Entrèves et de Courmayeur (1914-1990), diplômé (et très remarqué académiquement) en histoire du droit puis en histoire, devient à la fin de la guerre professeur d’histoire contemporaine, d’abord au lycée d’Aoste, puis dans différentes universités (Pise, Milan, Turin…). Il rencontre (biographie) dès son plus jeune âge Walter Maturi et Franco Venturi, Gioele Solari, Francesco Ruffini, qui l'orientent vers l'étude de l'oeuvre et de la vie de Camillo Cavour. Son oncle, Alexandre Passerin d’Entrèves et de Courmayeur, participe à la soutenance de sa "laurea". Alexandre est sans doute l'homme le plus connu (mondialement!) de la famille (biographie, bibliographie), professeur d’histoire de la pensée politique et du droit dans les universités d’Oxford et de Cambridge, au Royaume Uni, après la guerre. Très proche de son neveu Hector, il fut un des seuls, sinon le seul en Italie à rendre, après la guerre, et comme il s'y était engagé en 1938 auprès de l'ensemble du corps professoral de la faculté de droit de Turin, la chaire universitaire qu’il occupait à celui qui en avait été dépossédé en tant que juif, Giuseppe Ottolenghi, par le régime mussolinien (voir La sostituzione dei professori Giuseppe Ottolenghi et Cino Vitta). Mais l’université et le monde académique italiens, ainsi que son ancien maître Gioele Solari, ne voulant dès lors plus de lui, il dut s’exiler en Angleterre. Il fut très impliqué, à la libération, comme prefet du val d'Aoste, en 1945, puis dans la rédaction de la nouvelle constitution italienne, et dans la rédaction du statut d’autonomie accordé, en 1946 puis 1948, à la région vallée d’Aoste, et qui tient, bon an mal an, toujours. Il garde tout au long de sa vie une grande influence sur son neveu, et une proximité intellectuelle jamais démentie.

Hector épouse par amour, en 1939, Vittoria marquise Torrigiani-Malaspina. Elle descend de la famille Torrigiani de Florence (David Herlihy and Christiane Klapisch-Zuber's Catasto, voir aussi Klapisch-Zuber Christiane, "Du pluriel au singulier ou de la collaboration entre histoire quantitative et prosopographique" in Mélanges de l'école française de Rome, Année 1988, 100-1, pp. 241-245), dont 6 membres, si on en croit le cadastre, sont déjà en 1427 propriétaires à Florence, et qui ont encore aujourd'hui un palais, un jardin et même un "lungarno" à leur nom, quai du fleuve Arno, dans le centre-ville de Florence. Elle descend également de la famille Malaspina, issue des Obertenghi, qui gouverne la Lunigiana, région intermédiaire entre la Toscane et la Ligurie, région de Gênes, entre le Xe et le XIXe siècle. Il est remarquable et signe des temps, que ce soit par amour que ce mariage ait lieu, le plus prestigieux que les Passerin d'Entrèves et de Courmayeur ont connu au cours de leur histoire, à égalité, peut-être, avec celui d'Aimé en 1814. Il est remarquable tout autant que ce soit, d'une certaine manière, un retour aux sources florentines de la famille.

Chateau Malaspina de Fosdinovo (Toscane) ; lungarno Torrigiani et palais Torrigiani à Florence (Toscane) ; jardin Torrigiani à Florence (Toscane).

Présent et futur des Passerin d'Entrèves et de Courmayeur à Châtillon

Les dernières générations des Passerin d'Entrèves et de Courmayeur ont diversifié leurs activités, ainsi que leurs lieux de domicile : beaucoup sont universitaires (Italie, bien entendu, mais aussi France, Royaume-Uni, Afrique du Sud...) dans différents domaines (sciences naturelles, biologie, pharmacie, science politique, informatique, histoire...), mais d'autres sont dans le domaine des affaires et de l'ingéniérie, de l'hôtellerie et du tourisme, de la musique, du cinéma, de la traduction, de l'assurance, du marketing-commerce, ou dans l'exploitation agricole et agri-touristique.

Il est assez remarquable qu'entre la propriétaire actuelle, comtesse Claudia Passerin d'Entrèves (et de Courmayeur, née en 1940), artiste et historienne de l'art, mais aussi spécialiste de statistiques internationales (O.C.D.E.) et entrepreneuse dans l'hôtellerie (Hotel Porta Rossa à Florence), et les premiers Passerin d'Entrèves et de Courmayeur à avoir eu la garde du château de Châtillon, il ne coure que 5 générations. On doit à la comtesse Claudia toute une série de gros travaux dans le château de Châtillon, aussi bien la remise à neuf de la toiture, la reprise en main du jardin et du parc (ce dernier désormais géré par la Région Val d'Aoste et ouvert au public), ou de très lourds travaux de remise aux normes électriques et hydrauliques, l'extension du chauffage, ou la décoration intérieure (peintures) dans les milliers de mètres carrés du bâtiment (voir émission de télévision sur la télé italienne RAI 3: Le château de Châtillon, épisode 1 (en italien) ; Le château de Châtillon, épisode 2 (en italien)).

Façade de la chapelle du château Passerin d'Entrèves et de Courmayeur à Châtillon. On remarque, sur l'image de gauche,      que le frontispice, initialement polychrome, est presque complètement effacé. A droite, après les restaurations de l'été et de l'automne 2022, apparaît une représentation du Saint-Suaire, liée au passage du Saint-Suaire par cette chapelle, quelques heures ou quelques jours, lors d'un transfert entre Chambéry et Turin, en août ou septembre 1578.

Les derniers travaux en cours portent sur la restauration des fresques extérieures de la chapelle, abîmées par le temps, et les rejets acides de l'ancienne fabrique textile de la SOIE (ou MONTEFIBRE, appartenant à la société mère MONTEDISON, fabricant de la viscose, fermée depuis 1985), sise au fond du village. Il s'agissait d'une représentation du Saint Suaire de Turin, fresque réalisée par autorisation spéciale sur les façades de toutes les chapelles ayant contenu le Saint Suaire de Turin au cours de ses péregrinations entre Chambery et Turin, et passé par la chapelle de Châtillon en 1578. La fresque a désormais presque disparu.

Gisant d'Aymon de Challant, copie dans la chapelle du château Passerin d'Entrèves et de Courmayeur à Châtillon (l'original est visible dans le trésor de la cathédrale d'Aoste.

La chapelle contient aussi la copie d'un gisant d'Aymon de Challant, dont l'original, de propriété Passerin d'Entrèves et de Courmayeur, est visible dans le trésor de la cathédrale d'Aoste, déjà restauré. Elle contient enfin un buste de Gabrielle Canalis de Cumiana, dernière dame de Challant-Châtillon, et première dame Passerin d'Entrèves et de Courmayeur-Châtillon.

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