Histoire: le château

 

Nous n'avons pas de documentation écrite sur la création et la fondation du château de Châtillon, et nous ne savons rien sur sa date de construction. Il faut remarquer que ce type d'information est très rare pour l'ensemble des châteaux du Val d'Aoste. Si on s'en tient à Bruno Orlandoni (voir Bruno Orlandoni, Costruttori di castelli : cantieri tardomedievali in Valle d'Aosta, dans Bibliothèque de l'Archivum Augustanum, XXXIII, XXXIV, XXXV, Aoste, 2008-2010, tome 1, tome 2, tome 3) la mention la plus ancienne serait celle du château de Bard en 894, confirmée par une autre, 140 ans après, en 1034. La première mention de Châtillon, en tant que château, serait de 1242, lors de la reconaissance faite aux Audiences Générales (voir par exemple Joseph-Gabriel Rivolin, Les Valdôtains et la maison de Savoie: un aperçu historique, Aoste, 2015, p. 6 et 7) par les frères Challant Godefroi, Aymon et Boson (voir par exemple Inventaire des Archives de Challant, VOLUME 1, CONTI DI CHALLANT, ALBERI GENEALOGICI, Mazzo 1°, 1326-1771, 10, S.D) au comte de Savoie, Amédée IV.

Nous pouvons donc imaginer quelques pistes, l'une fondée sur la continuité historique et les racines romaines de la construction, une autre sur une origine plus récente mais en dehors de toute documentation. Il faut dire également que, malgré la connaissance approfondie que nous pouvons avoir des lieux, il n'y a que très peu d'informations archéologiques directes disponibles. Le château est privé, et n'a pas fait l'objet d'études scientifiques jusqu'a ce jour.

Le château de Châtillon, mot dont l'étymologie même remonte au latin «castellum», «castrum» ou «castrium», petit camp fortifié ou forteresse romains, comportait jusqu’en 1855 une tour hexagonale romaine, à la place de l’actuelle maison de gardiens, qui était la marque probable de son antiquité et de sa pérennité.

Château de Châtillon, probablement entre 1841, date de mort de Gabriella de Cumiana, veuve de Challant, et 1855, date de destruction de la tour hexagonale romaine, ici sur la gauche du bâtiment (gravure de Enrico Gonin, collection privée).

La possibilité de cette continuité est renforcée par la présence sur place, dans le village, de plusieurs éléments participants de cette romanité. Le premier est le pont sur le Marmore, torrent qui descend de la Valtournenche, de construction clairement romaine, et livrant passage à la route romaine des Gaules, qui se prolonge le long de tout le val d'Aoste en suivant le cours de la Doire.

Les trois arcs superposés des ponts de Châtillon. Le plus bas est le pont romain (photo collection privée).

Inscriptions romaines enchassées dans les murs de soubassement de l'eglise parroissiale de Châtillon (Source Google Earth)

Qui plus est, diverses inscriptions romaines, désormais enchassées dans le mur au pied de l'église paroissiale, témoignent également de cette présence romaine importante à Châtillon.

Il est par contre peu probable qu'il y ait pu y avoir, à l'emplacement du château et de la tour, placés sur un promontoire rocheux à l'époque, une ferme fortifée, ou une structure de type villa comme cela aurait pu être le cas dans la zone de "plaine" alluviale centrale de la vallée. Et rien dans la structure actuelle du château, plusieurs fois refaite, et profondément remaniée, ne permet plus de remonter à d'autres racines romaines, que la représentation de la tour, dont il ne reste rien.

Si la construction, ou du moins l'extension de tour romaine de Châtillon en château se place à la fin du moyen-âge, contemporaine du premier "incastellamento" local, compris entre XIe et XIIIe siècles (voir par exemple Jean-Marie Martin, "L'incastellamento : mutation de l'habitat dans l'Italie du Xe siècle" dans Actes des congrès de la Société des historiens médiévistes de l'enseignement supérieur public, N°9, DIjon, 1978), il n'en reste rien dans les sources. Sur la décision et la manière de construire, nous savons qu'il peut y avoir besoin de l'autorisation du comte de Savoie : c'est le cas lorsque les Challant sont investis du fief de Challant en 1206 par le comte de Savoie Thomas 1er, qui leur donne le fief de Ville-sur-Challant, suivant De Tillier, "in augmentum sui feudi ut in eo edificet et castellet" (voir TILLIER Jean-Baptiste de, Nobiliaire du Duché d'Aoste, Éditions de la Tourneuve , 1970 [première édition manuscrite première moitié du XVIII siècle] ou encore Inventaire des Archives de Challant, VOLUME 1, CONTI DI CHALLANT, ALBERI GENEALOGICI, Mazzo 1°, 1326-1771, 10, S.D). La même formule se retrouve, suivant Orlandoni, pour la construction de la maison forte de Tholes à Gressan en 1209 (voir Bruno Orlandoni, Costruttori di castelli : cantieri tardomedievali in Valle d'Aosta, dans Bibliothèque de l'Archivum Augustanum, XXXIII, Aoste, 2008-2010, tome 1, p. 36, ainsi que Inventaire des Archives de Challant, VOLUME 30, CONTE DI CHALLANT, TRANSAZI0NI TRA SIGNORI E SIGNORI, Mazzo 2°, 1358-1458, 18, 1458, 28 août). Mais ni l'Inventaire des fonds Challant aux Archives Historiques Régionales d'Aoste, ni d'autres fonds d'intérêt valdôtain n'ont jusqu'ici révélé de document de cette nature à propos de Châtillon. Nous avons des exemples sans doute assez proches des modalités de création et/ou d'agrandissement de fief dans les documents rédigés par le duc de Savoie pour deux Guillaumes Sarriod de la Tour, l'une en 1144 et l'autre en 1217.

Augmentation de fief concédée à Guillaume Sarriod en 1144(?) par Amédée III, comte de Savoie. Il est remarquable que ce document soit largement antérieur à tout ce que l'on sait des Sariod, et en particulier à tout ce que nous en indique De Tillier dans son Nobiliaire. Il porte sur le verso, probablement de la main d'un ancien archiviste, la mention Archives de la Tour d'Hone. (Collection privée).

Augmentation de fief concédée à Guillaume Sarriod (probablement un autre que dans le document précédent) en 1243 (et non 1217 comme indiqué par un ancien archiviste) par le comte de Savoie, Amédée IV (collection privée). Il est remarquable que ce document soit largement antérieur à tout ce que l'on sait des Sariod, et en particulier à tout ce que nous en indique De Tillier dans son Nobiliaire.

Enfin, entre la formule du pur héritage romain, comme c'est le cas pour les tours dans la ville d'Aoste, par exemple, et la construction médiévale sur permission du comte, il peut exister d'autres manières de procéder. C'est le cas par exemple pour la fondation du château d'Ussel, plus tardive, en 1343. Elle est en effet autorisée par une négociation entre branches de la famille Challant en 1332 (voir Zanolli Orphée, "La date de fondation du Château d'Ussel" dans Archivum Augustanum, VII, 1974-75, ainsi que Inventaire des Archives de Challant, VOLUME 41, CONTE DI CHALLANT, ATTI DI LITI DIVERSE, Mazzo 1°, 1293-1444, 4, 1332, 9 juin). Cette datation précise est confirmée par les études dendrologiques sur les bois retrouvés lors de la restauration du dit château (voir Bruno Orlandoni, Costruttori di castelli : cantieri tardomedievali in Valle d'Aosta, dans Bibliothèque de l'Archivum Augustanum, XXXIII, Aoste, 2008, tome 1, p.86). Mais nous n'avons pas de document de ce type à propos de Châtillon, et la dendrologie comme l'archéologie nous font également défaut.

Nous n'avons donc pas de documents ou d'autres sources sur la création du château de Châtillon. Nous n’avons pas non plus les plans originels du château, d’époque médiévale ou moderne. Le document le plus ancien dont nous disposons est donc la reconnaissance passée aux audiences générales de 1242 (voir Archivio di Stato di Torino, Sezione Corte, Duche d'Aoste in Paesi [Inventario n. 9], Cité e Duché d' Aoste, Mazzo 1.2, Fascicolo 11, 1242, dicembre 19, «Reconnoissance passé par Geofroi et ses d.s freres au d.t Comte Amé de la Vicomtée d'Aoste, et du Vidonnat, biens, et revenus qui en dépendent, de la 5.e partie des revenus qu'ils avoient dez le sommet de Montjoux jusqu'à Helier, à la reserve de ceux de la Valdigne, du Chateau, et Revenus de Fenis dez le Chateau de Bard, jusqu'au Pont de Livrogne des miniéres, et autres revenus qu'ils possedoient dans la d.e Vallée, des Chateaux de Châtillon, Rives, Ville, et Chatelargent, des Plaits de Doues, Montjoux, Châtillon, et de divers autres droits et revenus y specifiés. 19. xmbre 1242»). La reconnaissance porte ici sur le fief mais aussi sur le château, cité nommément, et sans ambigüité, puisque l'autre château de Châtillon, celui de Rives, est cité également. Il existe donc bien déjà en décembre 1242 un château de Châtillon, déjà de propriété des Challant: c'est là tout ce dont nous disposons.

Château de Châtillon. Vue actuelle de la façade ouest depuis le jardin, à gauche en hiver, à droite en été (photo collection privée)

Ceci étant, si nous ne connaissons pas tout, nous connaissons malgré tout les quelques grandes campagnes de modification, amélioration et agrandissement qui ont touché le château au cours des siècles, sans doute liées à sa position favorable, au dessus de la voie romaine du village, et du pont, propre à faire payer un péage. Sa position ensoleillée et agréable explique probablement aussi l'existence de décors d'époques différentes, et la permanence des Challant sur place, de manière continue, ce qui traduit une résidence appréciée et un lieu d’habitation particulièrement recherché.

La première dont nous gardons la traces nous est décrite par Jean Baptiste de Tillier, qui nous dit dans son Nobiliaire que "Jean de Challant, frère cadet du comte François, fut par les partages du seigneur Yblet son père seigneur de Châtillon, dont il fit bâtir le château" (Voir TILLIER Jean-Baptiste de, Nobiliaire du Duché d'Aoste, Éditions de la Tourneuve - 1970 [première édition manuscrite première moitié du XVIII siècle], p. 95). Et encore dans l'Historique que Jean de Challant "fit bâtir le château tel qu'on le voit aujourd'hui, dans une agréable situation sur une éminence au dessus du bourg, où les seigneurs font à présent leur demeure une partie du temps" (voir Tillier, Jean-Baptiste de, Historique de la vallée d'Aoste, Aoste, 1887, p. 68). Orlandoni met en doute cette datation pour la première transformation connue du château, dans la mesure où, Yblet mort en septembre 1409, Jean de Challant semble le suivre dans la tombe moins d'un an après (son testament est de 1410, et dès 1411 sa veuve apparaît comme telle dans les Archives. Ailleurs la date de sa mort est assez floue).

Château de Châtillon. Fresques de la salle des archives, début XVe siècle.Château de Châtillon. A gauche: Fresques de la salle des archives sur le thème du roman de Renard, datant probablement du début du XVe siècle, comme celles du château de Fénis (à droite)(photos collection privée)

Quoi qu'il en soit c'est dans ce début de XVe siècle que une première série de travaux ont lieu, faisant de Châtillon une demeure agréable et up to date du point de vue des fortifications et de l'organisation. Les fresques de l'actuelle salle des archives sont probablement de cette date, qui se rapprochent de celles de Fénis sinon par le thème du moins par la patte, d'un artiste ou de son école.

Vues panoramiques plein sud actuelles depuis le château de Châtillon, image du haut en été, image du bas en hiver (photo collection privée)

Une deuxième série de travaux, sans aucun doute de nature militaire accentuée, prend place au milieu du XVe siècle, dans le cadre de la guerre qui oppose Catherine de Challant, héritière principale voulue par le premier comte de Challant, François, et l'ensemble de ses cousins mâles, principalement ceux de la branche Aymavilles, héritiers par droit familial, par droit valdôtain et avec l'approbation des Savoie. Le château de Châtillon, nous dit Vaccarone, est alors fortifié par Pierre et François Sarriod d'Introd, mari et beau-frère de Catherine de Challant. A Châtillon, on construit des terre-pleins, on creuse des fossés, peut-être mis en eau, même si les lieux actuels y semblent peu propices. On répare d'anciennes murailles et on en construit de nouvelles. Au moins deux maîtres d'armes y fabriquent couleuvrines et arbalètes. Une garnison, nombreuse et sur ses gardes, y est présente jour et nuit (voir VACCARONE, Luigi, I Challant e loro questioni per la successione ai feudi dal XII al XIX secolo, Turin, 1893, p.10).

Le château de Châtillon, qui est donc alors bien mieux fortifié qu’il ne l’est maintenant, et bien mieux qu'il ne l'était auparavant, subit un siège en règle par la branche des Challant-Aymavilles, menée pour lors par Jacques de Challant. Il est probable qu'il subisse à cette occasion une dégradation marquée.

Conquis militairement, après un long siège, par l'autre branche de la famille, avec l’accord des Savoie, il change alors de propriétaire, et subit sans doute une autre série de travaux de remise en état, mais qui nous restent inconnus. Nous imaginons en tout cas que, comme Yblet, Jean, François, et pêut-être Catherine et Marguerite, ses nouveaux conquérants de la branche Aymavilles, Jacques, Louis, puis Philibert, occupent les lieux, et profitent des avantages de la maison. On considérait, jusqu'à une date récente, que Philibert de Challant y avait baptisé son fils René, dans la Chapelle de la tour du Levant, redécorée pour l’occasion (peintures encore existantes même si très mal "restaurées" au XIXe siècle). Mais il semble, d'après des recherches plus récentes, que les fresques du château d'Issogne et leurs dédicaces (saints représentés) se rapprochent tellement de l'évenement (parents, parrain, marraine, assistance...) que ce soit là bas que le baptême ait eu lieu.

C'est en tout cas en 1517 que nous avons la plus ancienne "description" du château, au travers de l'inventaire après décès de Philibert de Challant, tel que la rapporte Frutaz dans son ouvrage sur Châtillon (voir François-Gabriel Frutaz, Le château de Châtillon et l'inventaire de son mobilier au XVIe siècle, Aoste: Imprimerie Catholique, 1899). Je reprends ici celle qu'en donne, en résumé, Bruno Orlandoni, dont le travail inspire très largement les paragraphes qui vont suivre (voir Bruno Orlandoni, Costruttori di castelli : cantieri tardomedievali in Valle d'Aosta, dans Bibliothèque de l'Archivum Augustanum, XXXIII, Aoste, 2008-2010, tome 1, p. 311 et suivantes). L'extrait d'inventaire cite un grand nombre de pièces (j'ai rajouté la numérotation) :

"1- la chambre qui est en hault de la tour du viret dudict chasteau... 2- la chambre appellee la garde robe... 3- l'aultre petite garde robe a pres ladicte garderobe... 4- la chambre appelee la chambre touppe... 5- la grant sale dudict chasteau, toute tappissee de tappisserie jaulne et verde a arbres et sauvagines... 6- la chambre auprès de ladicte grant sale... 7- la grande sale basse... 8- la chambre aupres de ladicte sale basse... 9- la cuisine... 10- la petite crocte ou pié du viret... 11- la grant cave... 12- la petite cave de Sainct pol... 13- la chambre sus la porte du dict chasteau... 14- la riere chambre quest sus le belloard... 15- la chambre appellée dessus lestan... 16- la chambre sus de la gallerie aupres de la posterne en laquelle couchent les serviteurs... 17- la chambre ensuyvant... 18- en la tour de champ de court, en la plus haulte crotte... 19- et une salle dedans le belloard ou pres de la porte dudict chasteau... 20- la garde robe qui est ou pres de la chambre touppe..."

Il est compliqué de rapporter l'ensemble architectural décrit à l'état actuel du château. Même à l'aide d'un plan, on se perd très vite dans des descriptions qui ne semblent pas correspondre correctement à l'état qui est parvenu jusqu'a nous. Il est sans doute plus simple de rapporter le tout à un plan de masse de ce que pouvait être l'état du château et de son enceinte fortifiée à l'époque.

Plan de masse du château de Châtillon et de son enceinte, dans son état actuel, levé par Guido Dondeynaz, remanié.

Le donjon en son état actuel comprend 4 niveaux, dont un niveau de cave, dit "salle des chevaliers", qui était vraisemblablement le niveau au rez de jardin avant que l'enceinte ne soit comblée (au XVIIIe siècle), et le nombre des niveaux ramené à trois plus une cave. Cette salle est munie d'une cheminée et comporte des armoiries peintes, ce qui la ramène pour le moins au XVIe siècle, voir bien avant. La tour romaine hexagonale était probablement prolongée de bâtiments qui encadraient le pont levis, même s'il est difficile de savoir comment.

A gauche, élegant et large "viret", soit ecalier colimaçon, au château d'Issogne. A droite, "viret" ne commençant qu'au deuxième niveau (troisième niveau médiéval) pour donner accès au sommet du donjon, actuellement chambres du troisième étage.

Le "viret", escalier en colimaçon, ne commence (désormais ?) qu'au deuxième étage (troisième niveau médiéval) du donjon, et ne desser que le quatrième et dernier niveau. Mais il n'a rien du prestige des escaliers colimaçons larges et élégants du château d'Issogne, puisqu'il mesure moins de 80 cm de large, et que le pivot ou noyau, peut-être en pierre, en est caché par la maçonnerie. Nulle part ailleurs dans le bâtiment il n'y a trace d'un "viret" médiéval, puisque 'escalier dans la tour du levant, probablement tour à gorge ouverte au moyen âge, s'il tourne entre le premier et le deuxième niveaule long du mur de la tour ronde n'est pas du tout en colimaçon.

Plan du rez de chaussée du château de Châtillon, dans son état actuel, levé par Guido Dondeynaz, remanié.

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